Mauritanie : le Pacte de la discorde
Afrimag – Le Pacte Républicain a bien été paraphé, jeudi 21 septembre 2023, par ses «parrains» : le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation, le parti au pouvoir, El Insaf, le Rassemblement des forces démocratiques (Rfd), d’Ahmed Ould Daddah et l’Union des forces de progrès (Ufp) de Mohamed Ould Maouloud.
L’accord quadripartite a fait les choux gras de la presse et des discussions de salon avant et après la signature d’un «Pacte républicain» que plusieurs hommes politiques, de la majorité et de l’opposition, jugent hors saison ! Cependant, l’accord n’a réellement pas révélé tous ses secrets.
D’aucuns parlent même d’agenda caché. D’agendas cachés, oui. Car la seule certitude est que les signataires auront du mal à prouver le caractère «Républicain» d’un Pacte dont la viabilité dépend de la recherche d’un consensus politique national loin d’être acquis.
L’autre question que posent les observateurs est liée à l’intérêt que cherchent deux partis décadents, le Rfd et l’Ufp, sortis bredouilles d’élections organisées il y a à peine trois mois ? L’éternel recommencement ? Et si, demain, d’autres partis, en perte de vitesse, proposaient un autre accord ?
«La démocratie n’est pas un jeu trouble où il faut tout remettre en cause pour satisfaire les caprices de partis politiques qui refusent de reconnaître les mutations en cours», avait dit un opposant dénonçant un accord fait «à la carte» pour sauver, apparemment, deux vieilles formations politiques dont la survie est nécessaire comme pendant à l’opposition qui monte en force composée des islamistes de Tawassoul – qui vient de conserver le statut de chef de file de l’opposition démocratique – du Frud de Diop Tidjane en train de concurrencer sérieusement, dans le milieu négro-mauritanien, l’AJD/MR du député Ibrahima Moctar Sarr et le parti RAG (non reconnu) du leader antiesclavagiste Biram Dah Abeid. Ces partis qui dénoncent un Pacte négocié au nom de l’opposition par des formations non représentées à l’Assemblée nationale rappellent que le rapport de forces est résultat de ce que les électeurs ont décidé en fonction des programmes et des hommes qui aspirent à accéder au pouvoir, pas des «convenances» d’un pouvoir qui choisit l’opposition qui lui convienne !
Il faut comprendre aussi que la démocratie ne peut être ramenée à l’organisation d’élections coûteuses et, souvent inutiles et incertaines. Des milliards d’ouguiyas dépensées pour le résultat que l’on sait : une assemblée nationale composée aux 4/5 de députés godillots ne faisant qu’approuver les décisions souvent peu avisées d’un gouvernement dont l’agenda est clairement lié à la réélection, en 2024, du président Ghazouani. Des conseils municipaux et régionaux aux pieds et mains liés par le transfert de compétences sans les moyens financiers qui vont avec.
Vus sous les aspects évoqués si dessus, le « Pacte Républicain » est un montage politique aux contours flous. C’est une opération de « sauvetage », un accommodement par lequel le pouvoir, à travers le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation, cherche, apparemment, à rendre service à une certaine opposition, celle qui accepte de jouer le rôle de ce que Boydiel Ould Houmeid appelait, au temps de son parti Al Wiam, une « opposition responsable » !
La responsabilité du pouvoir
Nul doute que dans ce qui se joue derrière les coulisses, la responsabilité du pouvoir est grande. Si les « vertus » du diviser pour régner sont à l’avantage du gouvernement et de son bras politique, le parti El Insaf, il faut aussi reconnaître que c’est la majorité qui supporte la critique d’un accord dont l’utilité est loin d’être évidente.
Pour beaucoup, c’est une fuite en avant. Pressé par les problèmes de toutes sortes, le gouvernement cherche à gagner du temps, à détourner les regards de plus en plus braqués sur une situation économique et sociale critique.
Les citoyens se soucient plus de la situation économique du pays que de savoir qui gouvernera le pays en 2024 ou si l’Assemblée nationale sera dissoute ou pas au terme de ce nouvel accord ! Avec la détérioration constante du pouvoir d’achat et les perspectives sombres d’une conjoncture internationale dominée par la guerre Russie-Ukraine ainsi que par la résurgence des coups d’état en Afrique, la politique passe au second plan. Les questions de survie dominent les débats. Celles de la ruée de la jeunesse vers l’Amérique font partie du quotidien des Mauritaniens. Elles inquiètent d’autant plus que ce ne sont plus seulement les jeunes chômeurs qui «sautent le Mur» mais des fonctionnaires et agents de l’Etat qui choisissent l’exil économique soudoyés par les informations qui arrivent des USA et qui, malgré quelques drames, continuent à faire miroiter le rêve américain pour des milliers de jeunes.
Le Pacte républicain, vues toutes ces raisons, est donc un «machin» de plus qui permettra à des formations en perte de vitesse de remettre le pied à l’étrier et de bousculer, sur l’arène politique ; des partis émergents qui ont trouvé une nouvelle stratégie pour consolider leurs bases électorales. Parce qu’il ne perd rien dans cette affaire, le pouvoir joue le jeu et se présente comme le maître de cérémonie d’un mélodrame politique dont le succès dépend, quoi qu’on dise, de l’adhésion des formations de l’opposition qui comptent (Tawassoul, Frud, Sawab-Rag, AJD/MR) mais également des autres partis de la majorité qui avaient contesté fortement les résultats des dernières élections et refusent, de plus en plus, le diktat du parti El Insaf.
L’accord signé n’est donc que le début d’un nouveau processus qui engage la classe politique dans la course à la Présidentielle de 2024. La carte politique actuelle est appelée à changer en fonction des positionnements et négociations dont une bonne partie se déroulent de manière sous-terraine. Si la discipline, au sein de la majorité, est garantie par la parole donnée par le président Ghazouani à Ahmed Ould Daddah et Mohamed Ould Maouloud, «négociateurs en chef» pour l’établissement de ce nouveau Pacte Républicain, au sein de l’opposition, les adhésions dépendent de la nature des «pertes et profits» que chaque parti pourra entrevoir dans un accord qu’il n’aura pas élaboré ! Autant dire que c’est loin d’être gagné d’avance !
Il faut sans doute aussi reconnaître que l’opposition est en train de s’autodétruire. Celle qui prend langue avec le pouvoir, pour trouver un compromis, est déjà accusée de compromission ! On lui reproche, à tort ou à raison, de n’avoir pas d’abord pris langue avec les autres formations de l’opposition pour discuter de l’attitude à prendre et se mettre d’accord sur les questions qui occupent – et préoccupent – l’opinion publique nationale et qui sont loin des enjeux électoraux passés ou à venir.
Par Mohamed Sneïba, Correspondant permanent – Nouakchott