Chronique judiciaire de l’année 2023 ou chronique des échecs de Ould Boye
L’année judiciaire 2023 a connu des faits judiciaires marquants. Entre autres, l’organisation des états généraux de la justice, le procès de l’ex-Président Mohamed Ould Abdel Aziz et les mouvements incessants au niveau de la magistrature.
Ces faits sont diversement le reflet des échecs de Mohamed Mahmoud Ould Boye à la tête du ministère de la Justice. Nous nous efforcerons d’exposer cette chronique, suivant une démarche qui se veut objective et respectueuse de l’institution judiciaire et ses hommes.
Organisation des états généraux de la justice
Sur initiative de Mohamed Mahmoud Ould Boye, des états généraux de la justice ont été organisés au mois de Janvier 2023 sur le thème de la réforme judiciaire. Des commissions thématiques furent mises sur pied et un calendrier restreint imposé aux participants, triés sur le volet pour éviter tout débat de fond sur les dysfonctionnements réels dont souffre la justice mauritanienne.
Parallèlement, deux universitaires furent choisis par le ministre pour élaborer un rapport de synthèse de ces rencontres. D’après les experts, le rapport rendu public six mois plus tard ne constitue pas une référence solide, les propositions qu’il préconise étant, selon eux, inspirées des expériences de pays n’ayant pas les mêmes réalités que le nôtre.
Ces carences ont conduit le chef de l’État Mohamed Ould Ghazwani à fonder le 9 Novembre 2023 une Haute Commission pour la Modernisation et la Réforme de la Justice, chargée de mettre en œuvre les mesures appropriées à l’amélioration du fonctionnement de celle-là.
Procès de l’ex-président de la République
La procédure a commencé en 2020 par la mise en place d’une Commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur la gestion des biens publics pendant la décennie au pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz (2008-2019). Le rapport de cette commission conclut à de « manquements graves dans la gestion des revenus pétroliers et miniers, des marchés publics, et à des ventes illégales du domaine public ».
Saisi du dossier, le ministre de la Justice Mohamed Mahmoud Ould Boye ordonna l’ouverture d’une enquête policière sur la base du dit rapport. Devant les officiers de police judiciaire chargés de la répression des crimes économiques, l’ex-Président refusa de signer les procès-verbaux de l’enquête préliminaire.
Le 11 Mars 2021, il fut déféré devant le parquet de la République de Nouakchott-Ouest sur la base du procès-verbal de la police judiciaire dressé à cet effet. Le procureur l’inculpa, avec douze autres responsables, de chefs d’accusation notamment relatifs au blanchiment d’argent et octroi de privilèges injustifiés dans le cadre des marchés de l’État, le tout sur la base des dispositions de la loi n° 2016/14 du 15 Avril 2016, relative à la lutte contre la corruption.
Le dossier fut ensuite transmis au juge d’instruction chargé des infractions économiques et financières. L’ex-Président refusa de répondre aux questions du magistrat, en invoquant l’article 93 de la Constitution relatif à l’immunité présidentielle.
Dirigés par maître Icheddou, les avocats de l’ex-Président soutinrent que, pour des faits commis pendant qu’il était chef de l’État, seule la Haute cour de justice pouvait le poursuivre sur la base dudit article.
Se fondant sur une jurisprudence française récente « relative aux actes détachables de l’exercice de la fonction ministérielle », maître Ebetty, avocat de l’État mauritanien, estima, quant à lui, que les faits reprochés à l’ex-Président étaient détachables de la fonction présidentielle et donc, susceptibles de poursuites devant les juridictions ordinaires. Á l’issue d’une longue procédure d’instruction, le juge d’instruction décida de renvoyer le dossier devant la Cour anti-corruption. Sa décision fut confirmée en appel puis au niveau de la Cour suprême.
Après un procès-fleuve jalonné de rebondissements, la Cour anti-corruption rendit son verdict le 5 Décembre 2023, rejetant l’exception d’incompétence soulevée par la défense, et condamna l’ex-Président à cinq ans de prison ferme, en ne retenant contre lui que les accusations de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite.
Á cette condamnation, s’ajouta la confiscation de ses biens et le paiement de cinq cents millions d’ouguiyas au Trésor public. D’autres condamnations moins sévères furent retenues contre cinq des coaccusés, les autres étant acquittés. Le Parquet et la défense de l’Ex-Président décidèrent alors de faire appel devant la chambre criminelle de la Cour d’appel.
Mouvements incessants au sein de la magistrature
Sur initiative du ministre Mohamed Mahmoud Ould Boye, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) se réunit en session ordinaire le 20 Octobre 2023 et entérina un nouveau mouvement au sein de la magistrature, cinq mois après celui-ci effectué au mois de Juillet dernier. Les nominations s’inscrivaient dans la logique des mouvements précédents (ceux de 2021 et 2022), marqués par l’empreinte du fait tribal.
Pour rappel, le CSM tenu en Décembre 2021 sur initiative du ministre Ould Boye avait procédé à un grand mouvement dans la magistrature, accordant une place prépondérante aux magistrats issus de sa communauté tribalo-ethnique qui s’étaient vus attribuer l’essentiel des postes-clés dans l’appareil judiciaire. Ceux appartenant à d’autres groupes sociaux furent casés dans des fonctions secondaires, sans justification valable.
Les magistrats regroupés au sein de leurs organisations représentatives ont dénoncé à plusieurs reprises ces dérives, appelant au respect des garanties statutaires et au rejet de toute forme de tribalisme ou de clientélisme dans l’attribution des postes.
Mohamed Bouya Ould Nahy
Ex-procureur de la République à Nouakchott