La Banque Centrale de Mauritanie, aux prises avec le désordre monétaire (4) / Par Me Taleb Khyar Ould Mohamed Mouloud*
Les mesures prudentielles édictées par la Banque Centrale, s’adressent à toutes les banques de la place, et visent à renforcer la solidité financière du système bancaire dans son ensemble, ainsi que la préservation des intérêts des déposants ; il faut se souvenir que les défaillances bancaires planent de tout leur danger sur le patrimoine des déposants (affaire Maurisbank, et d’autres en filigrane, moins médiatisées).
Les mesures de la Banque Centrale sont donc opportunes, en ce qu’elles imposent de nouvelles exigences aux banques de la place , tant du point de vue du capital qu’au niveau des fonds propres, comme elles prévoient la mise en place pour chaque banque, d’un contrat-programme, précisant les remèdes qu’elle entend apporter aux manquements, et insuffisances constatés à son niveau ; on peut percevoir le contrat-programme comme un plan de continuité qui doit être soumis à l’appréciation de la Banque Centrale.
Ces mesures ont pris jusque-là une forme graduelle, orientée dans un premier moment vers une action sur la masse monétaire par un resserrement du taux d’escompte, suivie quelques mois plus tard, par une alerte sur la situation financière des banques, nécessitant des mesures de redressement que la Banque Centrale a pris soin de préciser.
La mesure la plus significative, est sans doute celle qui enjoint aux banques de procéder à une augmentation de capital.
L’augmentation de capital est une mesure de financement externe qui se traduit par une véritable restructuration interne imposée aux banques.
En effet, les banques étant des sociétés anonymes, on peut à priori considérer que la procédure d’augmentation du capital soit de la compétence de l’assemblée générale, statuant dans des conditions de modification des statuts, à moins de déléguer ce pouvoir au conseil d’administration.
Cette compétence de l’assemblée générale, bien que prévue par le code de commerce mauritanien, est paralysée dans le cas d’espèce, puisque la Banque Centrale a d’autorité le pouvoir, conformément à l’article 85 de la loi portant réglementation des établissements de crédit, d’imposer aux banques une augmentation de capital, quitte à ce qu’elles le fassent conformément à la procédure prévue par le code de commerce, mais en application des injonctions de la Banque Centrale.
L’assemblée générale ne pourra statuer que dans les limites déterminées par la Banque Centrale, et en conformité à ses injonctions ; idem pour le conseil d’administration, délégué aux mêmes fins.
Au-delà de cet aspect procédural, qui ne manque pas d’intérêt, l’augmentation du capital peut se réaliser, aux termes du code de commerce, par apport en numéraire ou en nature, par compensation avec des créances certaines, liquides et exigibles sur la société, par incorporation au capital de réserves, bénéfices ou primes d’émission, par conversion d’obligations.
De toutes ces options, l’article 85 de la loi portant réglementation des établissements de crédit, précitée, ne retient que l’augmentation du capital par émission d’actions à souscrire en numéraires.
Les actions nouvelles, seront donc émises à leur montant nominal majoré d’une prime d’émission, pour équilibrer la valeur des droits que les anciens actionnaires ont dans l’actif net avec celles des droits qu’obtiennent les nouveaux investisseurs dans cet actif net, ce qui nécessite des calculs quelque peu complexes, pour déterminer la prime d’émission, qui est d’une certaine manière un ticket d’entrée dans le capital recomposé.
La Banque Centrale exige aussi, un accroissement des capitaux propres.
Les deux mesures , augmentation du capital et des capitaux propres, sont étroitement liées, l’augmentation du capital, visant à augmenter les fonds propres, pour en améliorer la rentabilité. il s’agit ici, de la rentabilité financière des capitaux propres, envisagée du point de vue des actionnaires, empruntée au terme anglais de return on equity (ROE), et qui est mesurée par le résultat net qui apparaît au vu du compte d’exploitation de la banque, rapporté aux capitaux propres.
C’est donc à dessein que la Banque Centrale, dans une troisième mesure, a interdit aux banques toute distribution de résultats nets ; ces résultats nets seront systématiquement reportés à nouveau, aussi longtemps que les banques n’auront pas amélioré le taux de rentabilité de leurs capitaux propres.
C’est à l’aune de ce taux que se mesure le bénéfice obtenu sur les fonds propres apportés par les actionnaires.
Sous d’autres cieux, cette rentabilité s’apprécierait également au vu de ratios boursiers ; c’est l’occasion de rappeler que l’absence de marché de capitaux est une tare à laquelle il faut remédier, pour faciliter l’intermédiation financière (voir à ce propos les différents articles publiés par l’auteur à ce sujet sur Cridem)
Enfin, la Banque Centrale se réserve le droit de vérifier, à travers un contrat-programme, élaboré cas par cas, si les remèdes préconisés par son plan de conformité, ont bien été appliquées par les banques.
L’approche de la Banque Centrale relève donc strictement de l’analyse financière ; il ne peut en être autrement puisque les banques encourent des risques de crédit et de concentration, de taux de change, de couverture, de taux d’intérêt , de liquidité et de transformation, à la place de leurs clients, outre le risque opérationnel et juridique.
Ces risques sont quantifiés par des ratios propres à l’analyse de la performance bancaire ; on peut citer à titre d’exemples, le coefficient d’exploitation qui mesure la part de richesse produite par une banque, en rapportant son produit net bancaire (P.N.B.) à ses frais de fonctionnement, ce ratio devant être faible pour compenser une hausse du risque, en cas de conjoncture dégradée ; si ce ratio atteint 100%, (1) le coût du risque ne peut plus être absorbé ; le ROE (return on equity ou rentabilité des capitaux propres) qui doit être suffisant pour rémunérer les actionnaires, conforter les fonds propres, respecter les ratios de performance imposées par la Banque Centrale……….
La dernière décision de la Banque Centrale, visant à agir sur le multiplicateur monétaire , vient s’ajouter à cette panoplie de mesures ,toutes d’une grande adéquation avec notre système bancaire à réserves fractionnaires. (à suivre)
*Avocat à la Cour.
*Ancien membre du Conseil de l’Ordre.