L’artiste mauritanien Oumar Ball face à la beauté et à la violence du monde
Sélectionné pour la Biennale de Dakar, décalée au 7 novembre 2024, le peintre et sculpteur a reçu Jeune Afrique dans ses ateliers de Nouakchott. Il nous décrit son œuvre, une ode à la liberté, puisée dans son enfance et ses racines.
Ce dimanche de mars, nous peinons à rejoindre l’atelier de peinture d’Oumar Ball, situé dans le quartier Cité Plage, à Nouakchott. Et pour cause, l’institut culturel qui l’héberge est devenu une école coranique.
Ce sont donc les enfants qui nous ouvrent les portes de l’établissement, avant que le peintre et sculpteur ne vienne nous accueillir avec une grande affabilité pour nous guider vers ses toiles.
Rencontrer Oumar Ball, c’est une invitation à nous reconnecter aux autres et à ce qui nous entoure, à capter les instants d’un quotidien qui parfois nous submerge. « Créer est une forme de célébration de la vie, j’essaie de refléter ce qu’elle essaie de nous montrer, sourit-il. L’art est partout. »
Et l’on retrouve sur certaines de ses œuvres exposées, au milieu de dizaines de pots de peinture et de cartons épars, la théière mauritanienne, mais aussi la sandale, qui fait l’objet de toute une série. « Chez nous, en Afrique, les chaussures sont toujours laissées ici et là, explique-t-il. Cela remonte à mon enfance, elles étaient toujours par terre, coincées dans la boue, laissées sur les rives du fleuve. »
Natif de Bababé, dans un univers pastoral
Oumar Ball ne cesse de puiser son inspiration dans ses racines, à Bababé, à la frontière sénégalaise, où il est né en 1987 et a grandi dans un univers pastoral, « entouré d’eau et de beaucoup d’oiseaux. » Les animaux sont très présents dans les contes qui bercent cet enfant un peu solitaire, élevé par sa grand-mère.
Son père, Issa Ball, issu de la première génération d’artistes mauritaniens reconnus, l’a initié enfant à la sculpture, en lui fabriquant des mobiles, avant que lui-même ne crée des jouets pour lui et les enfants du village. C’est entre 15 et 16 ans, au décès de son aïeule, qu’il rejoint ses parents établis à Nouakchott.
Dans la capitale, il n’a de cesse de créer, au point que son oncle lui conseille d’aller déposer ses œuvres chez un vendeur d’artisanat. Des chameaux, vaches, chiens et autres oiseaux, qui prennent vie avec du métal, du fil de fer ou encore du plastique coloré. Son père le présente à d’autres artistes et lui fait également découvrir la peinture, en lui ramenant des toiles de Dakar.
« Je n’ai pas fait les beaux-arts, j’ai appris seul, entre autres grâce aux livres que mes amis me ramenaient de l’étranger. » Remarqué à l’occasion de plusieurs expositions à Nouakchott, il part dès 2006 en résidence d’artistes à Segovia (Espagne), puis l’année suivante à Talence (France), des expériences qu’il multipliera et qui nourriront un peu plus son œuvre.
Il se fait connaître, échange beaucoup avec les artistes étrangers, car reconnaît-il, « c’est important pour évoluer ». Il aimerait ouvrir sa propre galerie afin de « rendre à d’autres talents ce que la vie [lui] a donné », mais se laisse encore du temps, préférant se consacrer à ses créations, dans lesquelles la peinture et la sculpture sont complémentaires. Sur ses toiles, il aime coller et mélanger les textures – comme ici, un sac à pommes de terre – que l’on peut toucher, s’approprier. « Une conversation se crée entre une personne et une œuvre, dit-il. Je leur donne un titre, mais c’est juste une ouverture. »
Couronné à la Biennale de Ouagadougou en 2021
Son atelier de sculpture, où il nous invite à le rejoindre ensuite, est situé à quelques minutes de distance. On y retrouve de grandes ailes de vautours faites de métal, semblables à celles de son œuvre Chimère, qui lui a valu le premier prix du jury à la Biennale internationale de sculpture de Ouagadougou (Biso) en 2021 – et qui a donné le nom à une exposition donnée à la Fondation Blachère, dans le sud de la France, où il fut en résidence l’année suivante.
Chimère, selon les interprétations, peut représenter une hyène dévorant un vautour, dont les plumes au sol sont les stigmates de la violence du combat. Une représentation toute en subtilité de notre environnement fragile, fait d’antagonismes et de luttes.
« Ce n’est en effet pas totalement déconnecté de la politique, car en tant qu’humain, je suis touché par les crises actuelles, explique Oumar Ball. Le monde dans lequel nous vivons est d’une violence extraordinaire, ce travail-là en est l’illustration. La hyène et le vautour sont comme deux humains sans pitié, chacun veut manger l’autre. » À la fin, qui l’emporte ? « Peut-être qu’ils sont tous les deux perdants. Car personne ne sort gagnant des querelles politiques. Chacun veut tirer profit de l’autre, mais en tant qu’humains, nous devons nous parler. »
Une installation créée en deux temps
Dans cette pièce où la lumière du jour perce à travers une petite fenêtre, entre les murs griffonnés, les pots de peinture ont cédé la place à de grands morceaux de tôle rouillée, dont il fait jouer les nuances. Ici des emballages métalliques, là des pinces et des ciseaux.
Lorsqu’il sculpte, la matière est pliée, écrasée, tordue, le geste est répété des dizaines de fois. Une forme de méditation. « L’artiste cherche à la dominer, mais elle est rugueuse, dure, alors il doit être humble et l’écouter car elle a aussi son mot à dire, raconte-t-il. La matière peut avoir le dessus et il faut l’accepter. Lorsque je peins, les couleurs peuvent aussi se manifester comme elles veulent. Et c’est bien d’être attentif aux belles choses qui apparaissent d’elles-mêmes. »
Certaines parties de ses œuvres sont cousues avec du fil de fer, un travail minutieux. « Ma mère était coiffeuse et faisait des tresses, cela doit venir de là ! » Sélectionné pour la Biennale de Dakar – où il a été régulièrement exposé dans le off ces dernières années –, qui aura lieu du 7 novembre au 7 décembre, il présentera une installation dont il crée une partie ici et l’autre sur place. A-t-il déjà pensé à aller s’installer ailleurs ?
« En Mauritanie, j’aime les espaces, le temps, les couleurs, répond-il. J’ai besoin de sentir mes pieds ancrés dans ma terre, c’est là que je trouve mon inspiration. C’est beaucoup de sacrifices d’être loin de là où tout se passe, mais c’est quand on est connecté à ses racines que l’on est vraiment soi-même. » À cet instant, son fils Abdoulaye, 4 ans, nous rejoint, fasciné par un âne posé sur une petite table. Chez les Ball, l’art se transmet de père en fils.
JA/Justine Spiegel – envoyée spéciale
à Nouakchott