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Moktar Ould Daddah, le premier président mauritanien qui a régné sans opposition

Si Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a été sans surprise réélu le 29 juin, les jours qui ont suivi ont été marqué par des contestations et des émeutes meurtrières. L’occasion de revenir sur l’itinéraire du premier président du pays, Moktar Ould Daddah, dont les mandats n’avaient, déjà, pas toujours été paisibles.

Dès son indépendance en 1960, la Mauritanie aspire à mettre en place un régime de type démocratique. La transition s’est opérée dans les meilleurs conditions, sans friction aucune avec la métropole. Au contraire : la France a accompagné les Mauritaniens dans leur émancipation et entre l’administration coloniale et les élites traditionnelles, qu’elles soient maraboutiques ou guerrières, les relations sont au beau fixe.

Dès 1946, la Mauritanie a d’ailleurs une Constitution. Et elle envoie des représentants siéger à l’Assemblée nationale de la IVe République française.

Deux ans plus tard, à Rosso, dans le sud du pays, est créée l’Union progressiste mauritanienne (UPM). Ce jeune parti politique entend moderniser les choses, accéder à l’indépendance mais sans heurts. S’il se veut apolitique, l’UPM s’apparente très rapidement au parti gaulliste, le Rassemblement du peuple français (RPF). Parmi les membres de l’UPM : un certain Moktar Ould Daddah. Il vient d’une famille maure, les Ould Biri, qui n’est pas inconnue dans le pays car l’un de ses aïeuls s’est allié à Xavier Coppolani, l’anthropologue et commissaire du gouvernement général venu négocier avec les chefs mauritaniens au début du XXe siècle. Quant à son arrière-grand-père – et homonyme – Moktar Ould Daddah, il a toute sa place dans les annales françaises en tant que combattant ayant servi sous les ordres du commandant Frèrejean.

Le petit-fils, lui, n’est pas non plus n’importe quel Mauritanien. Il a fait ses études à la medersa de Boutilimit, une école d’élites. Ensuite, direction le Sénégal et l’École des fils des chefs et des interprètes de Saint-Louis – baptisée dans un premier temps École des otages – créée par l’administrateur colonial français Louis Faidherbe en 1855. Il sera le premier bachelier mauritanien. Sans transition, il rejoint Nice puis Paris. Il y décroche une licence de droit, devenant du même coup le premier licencié de son pays. Ses premières armes d’avocat, il les fait dans un cabinet parisien, celui de Me Boissier-Palun.

C’est en 1957 que le jeune avocat commence à faire parler de lui sur la scène politique. Dans le contexte de la loi-cadre de Gaston Defferre, ministre français des territoires d’outre-mer, dont relève la Mauritanie. Cette loi propose d’organiser l’autonomie interne des colonies encore sous domination française. Pour cela, elle invite à élire au suffrage universel un conseil de gouvernement dirigé par un gouverneur. Et c’est là qu’apparaît le nom de Moktar Ould Daddah, qui pour beaucoup fait figure de choix logique. « Il est le premier diplômé d’études supérieures de la Mauritanie, ses qualités morales et intellectuelles sont unanimement reconnues, il est jeune et soupçonné d’être nationaliste : ce qui ne peut qu’entraîner l’adhésion des jeunes Mauritaniens qui se reconnaîtront en lui. Il se présentera à la députation dans le cercle de l’Adrar », indique l’historienne Geneviève Désiré-Vuillemin dans son Histoire de la Mauritanie. Des origines à l’indépendance.

Les élections sont une victoire nette pour l’UPM : 33 sièges sur 34. C’est également le début de la consécration pour Ould Daddah. L’homme a déjà fait part de ses sentiments et de sa ligne politique en déclarant, au lendemain de la victoire électorale : « Nous sommes une nation qui naît. Nous en avons conscience. Faisons ensemble la nation mauritanienne. » Reste à passer des paroles aux faits, et ne première décision s’impose : la colonisation française a créé une situation administrative ubuesque en faisant de Saint-Louis du Sénégal le chef-lieu de la Mauritanie. Aussitôt, Ould Daddah transfère cette autorité sur ce qui va bientôt devenir le territoire national.

Premier président en 1961

En juin 1958, il se retrouve à la tête du Parti du regroupement mauritanien (PRM). Trois ans plus tard, le 28 novembre 1960, il est investi en tant que premier Premier ministre de la Mauritanie. C’est aussi l’année de la proclamation de l’indépendance de la République islamique de Mauritanie. Un an plus tard, le 20 août 1961, sont tenues les élections présidentielles, et Moktar Ould Daddah l’emporte haut la main, devenant le premier président de la République du pays. Il obtient 371 808 voix sur 397 588 électeurs inscrits. Le triomphe, toutefois, n’est pas total : le président de l’Assemblée nationale et deuxième personnage du régime par ordre d’importance, Souleymane Ould Cheikh Sidiya, est un opposant. Moderniste contre traditionnaliste. Les choses se corsent, et un bras de fer s’engage entre le président de la République et celui de l’Assemblée.

Au fil du temps, Moktar Ould Daddah semble progressivement se durcir. Geneviève Désiré-Vuillemin nous éclaire sur ce point : « Un voyage en Guinée a convaincu Daddah de l’avantage du parti unique pour forger l’unité nationale en combattant les particularismes, et de l’inadaptation de la démocratie à la façon occidentale au contexte économique et humain de la Mauritanie. » Le pays, dès lors, va glisser vers l’autocratie.

Pour asseoir définitivement son pouvoir, Ould Daddah a besoin de se tailler une Constitution à la mesure de ses ambitions. En fin politicien, il obtient la révision de la loi fondamentale et l’adoption d’un amendement, à l’article 9 qui lui ouvre le chemin de l’autoritarisme. Le texte est ainsi rédigé : « La volonté populaire s’exprime par le parti de l’État, organisé démocratiquement. Le parti du peuple mauritanien, né de la fusion des partis nationaux, est reconnu comme l’unique parti de l’État. »

Le tour est joué : la soviétisation du pouvoir en Mauritanie autour d’un parti unique est accomplie. Ould Daddah a désormais les coudées franches pour construire le pays selon une formule personnelle, la sienne. Débute alors le long règne d’un président omnipotent. En politique intérieure, il tente d’édifier une conscience nationale en unifiant une société mauritanienne déchirée par la discrimination entre les Beidanes, des Blancs d’origine maure, et les Haratines, des Noirs d’origine subsaharienne. Il veut également édifier un État moderne. Pour ce faire, il s’oppose aux traditionnalistes qui ne jurent que par la théocratie.

Rapprocher le monde arabe de l’Afrique

En politique étrangère, dès 1964, le pays rejoint l’OUA (Organisation de l’unité africaine). Le président critique l’attitude de la France en Algérie et travaille d’arrache-pied pour rejoindre la Ligue arabe. Il manœuvre également de manière habile face aux revendications du Maroc, qui voit la Mauritanie comme partie intégrante du royaume chérifien. Finalement reconnue par Rabat en 1969, la Mauritanie peut intégrer la Ligue arabe en 1973. Ould Daddah n’aura d’ailleurs de cesse de rapprocher le monde arabe de l’Afrique. « Très souvent les Européens s’adressant aux Noirs leur disaient : les Arabes sont des esclavagistes, des racistes. Et quand ils s’adressaient aux Arabes, ils leur confiaient que les Noirs avaient la maladie de la persécution, qu’ils étaient complexés, qu’ils manquaient de culture, etc. Conséquence : les rapports se sont empoisonnés, la distance s’est accrue. Il fallait donc relier les deux parties », déclare-t-il à Jeune Afrique dans un entretien paru le 1er décembre 1973.

Côté économique, Moktar Ould Daddah fait une demande de prêt à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) afin de développer le secteur minier. Il met pour cela en avant l’importance de la société d’exploitation du fer en Mauritanie (la Miferma) et son rôle dans l’économie mauritanienne.

En 1966, 1971 et 1976, le président est réélu sans opposition aucune. C’est finalement le contexte économique et politique quelque peu difficile des années 1970 qui aura raison de lui. Alors que la crise pétrolière, la chute du cours du fer sur les marchés internationaux et le début de la guerre du Sahara rendent la situation de plus en plus instable, le Front Polisario décide de cibler celui parmi ses adversaires qui lui semble le plus faible : la Mauritanie. Malgré la signature d’un accord de défense mutuelle entre Nouakchott et Rabat et la création d’un haut commandement mixte, la capitale sera bombardée par le Polisario en mai 1977.

Face à cette menace, le budget militaire a explosé, la situation économique se dégrade et le mécontentement s’amplifie. Le 10 juillet 1978, un coup d’État militaire met fin au règne du premier président de la République mauritanienne. Ould Daddah est jeté en prison. Un an plus tard, en août 1979, il est autorisé à s’exiler en France où il s’installe avec son épouse française, Mariem Daddah. En juillet 2001, l’ancien président obtient le feu vert pour un retour en Mauritanie. Il meurt deux ans après. Ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées, éditions Karthala) seront publiées à titre posthume. Le père de la nation mauritanienne, finalement, aura laissé un goût amer aux démocrates de tous les horizons.

Farid Bahri

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