La Mauritanie et le trafic de drogue, une longue histoire d’intrigue qui enflamme l’actualité
La toile s’affole depuis quelques jours face à l’ampleur du trafic de drogue en Mauritanie que d’aucuns qualifient déjà de plaque tournante de stupéfiants et de paradis pour le blanchiment de l’argent sale au Sahel.
Si l’impunité semble couvrir les cartels qui se sont développés d’une manière spectaculaire ces dernières années, le couperet des autorités s’abat souvent sur les lanceurs d’alerte, journalistes, blogueurs et activistes des réseaux sociaux qui dénoncent l’ampleur du mal plutôt que sur les barons.
Depuis quelques jours, il n’est question que du journaliste, blogueur et lanceur d’alerte, Abderrahmane Ould Wedadi. Au cours d’un live sur les réseaux sociaux, largement partagés et suivis par près d’un million de followers, il a fait une analyse jugée pertinente sur l’origine de la fortune soudaine et suspecte d’une famille soufiste.
Il s’agit d’une famille, dépositaire d’un ordre religieux dont les adeptes à travers l’Afrique de l’Ouest se comptent par millions.
On musèle les lanceurs d’alerte
Abderrahmane Ould Wedadi n’est certes pas le seul à se poser des questions sur cette soudaine émergence de cette famille qui en l’espace de deux ou trois ans est devenue la plus riche en Mauritanie. Ce sont des milliards d’ouguiyas qui ont été en effet dilapidés par cette famille en dépenses de privilèges au cours de cette courte période. Des centaines de voitures de haute marque, des dizaines de villas, des cadeaux à coups de millions, ont été en effet distribués comme de petits bonbons à des artistes, des journalistes, des troubadours, des poètes courtisans, des hommes politiques, à leurs épouses et à leurs progénitures.
Mieux, et contrairement à la tradition puritaine de cette respectable famille religieuse, la famille dont il est question a brisé un tabou en s’impliquant avec force dans le jeu politique, à coups de centaines de millions, voir un milliard versé lors de la dernière campagne présidentielle.
D’aucuns, dont Abderrahmane Ould Wedadi, soutiennent que cette générosité excessive envers les tenants du pouvoir n’a pour objet que l’achat du silence des autorités.
En aucun moment en effet, les autorités mauritaniennes n’ont levé le plus petit doigt pour s’interroger sur ces milliards subitement sortis du néant, bien que ces fonds colossaux transitent pour la plupart par la Banque centrale et effeuillent le marché noir des devises.
C’est pour avoir lié l’origine de la fortune colossale et subite de la famille religieuse au trafic de cocaïne, qu’Abderrahmane Wedadi a été interpellé par la gendarmerie le samedi 14 août 2024 sur une plainte déposée contre lui par l’un des fils de la famille.
L’impunité face aux milliards de la drogue
Il faut dire que l’histoire de la drogue en Mauritanie défraie la chronique depuis plusieurs années, sans que le sort des dizaines de tonnes de stupéfiants saisis n’ait jamais été élucidé, et sans que les nombreux suspects soient restés longtemps en prison ou inquiétés. Entre des coups d’éclats entourant les saisies de quantités énormes de stupéfiants et les centaines d’arrestations opérées par la police ou la gendarmerie et l’impunité des auteurs qui s’en suivent, la question de la drogue en Mauritanie se perd entre des procès sans issus, des évasions spectaculaires de présumés auteurs et des libérations suivis de classement des dossiers sans raison juridique valable.
La Mauritanie n’est pas certes le seul pays au monde où la maffia de la drogue tisse ses toiles, inondant de ses tentacules le monde politique, celui des affaires et de la haute finance.
Quelqu’un a affirmé que certaines grandes familles mafieuses mauritaniennes ont leurs propres banques pour faire circuler leur argent, pour le blanchir er le réinvestir dans l’économie. Il suffit de voir comment les villas et les hôtels poussent comme des champignons dans les grandes villes, comme à Sahraoui à Nouakchott ou le quartier Dubaï à Nouadhibou. Combien fleurissent les usines frigos dans la zone industrielle de la Baie de Repos, les banques sur l’Avenue Médian et sur l’Avenue Mokhtar Ould Daddah. Maintenant, les cartels de la drogue mauritaniens investissent dans l’immobilier aux Iles Canaries, au Maroc, en France, etc. Il suffit juste de se promener sur l’Avenue Mesa Y Lopez en Espagne pour voir où est passé l’argent de la drogue. La lutte contre l’argent du crime organisé en Mauritanie ne peut se faire tant que certains responsables continuent de faire le jeu des gros barons de la drogue.
Une longue histoire entre la Mauritanie et la drogue
Le 12 août 2024. La police arrête 5 personnes dont 3 étrangers pour détention de cocaïne et plus de 6 tonnes d’alcool. Un officier de police connu pour son engagement, parmi ceux qui ont été à l’origine de cette saisie, est interpellé pour avoir dénoncé dans une vidéo l’implication de policiers dans la protection des trafiquants.
Le 10 octobre 2023. Une importante quantité de drogue, 15,5 kilogrammes de drogue, est saisie par la police à Bababé dans la Wilaya du Brakna.
14 août 2023. Le chef du bureau national chargé de la lutte contre le trafic de drogue et les produits psychotropes, l’officier El Hacen Ould Samba a déclaré au cours d’un entretien avec l’Agence mauritanienne d’information (AMI), que l’approche sécuritaire mise en place a permis, au cours des 6 premiers mois de cette année, à démanteler quatre cellules de vente de drogue et l’élaboration de 101 procès-verbaux pour le déferment devant la justice de 156 suspects dont 133 mauritaniens, la saisie de 12.023 grammes de haschisch et 7089,48 g de résine de cannabis.
23 juin 2023. Le procureur de la République de Nouakchott-Ouest, M.Ahmed Abdallahi El Moustapha, a annoncé que la marine nationale a pu, après des opérations de repérage, de suivi et de surveillance de quelques jours, détecter, intercepter et arrêter un navire dans les eaux territoriales mauritaniennes transportant une cargaison de drogues à haut risque de 1 218 kilogrammes de cocaïne.
12 avril 2020. L’armée mauritanienne annonce avoir intercepté une bande de trafiquants d’armes et de drogue qui se déplaçait sur la frontière avec le Mali. L’opération avait permis la destruction de deux voitures Toyota Land Cruiser, l’arrestation de sept trafiquants, la confiscation d’une Toyota Land Cruiser, d’une arme Kalachnikov, de quatre chargeurs Kalachnikov munis de munitions, un Téléphone Thuraya, trois téléphones portables et 700 kg de drogue.
1er avril 2019. Les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la grande délinquance financière (OCRGDF) avaient démantelé à Paris, un nouveau réseau de collecteurs, maliens et mauritaniens, qui blanchissait l’argent de la drogue en écoulant des médicaments en Mauritanie.
25 février 2016. Alakhbar rapporte que durant la période 2014-2015, des Mauritaniens et un Vénézuélien ont été arrêtés en Mauritanie. Le réseau disposait de bateaux, de pirogues et d’avions pour transporter la drogue de la Colombie ou du Venezuela, en Amérique latine, vers la Mauritanie, la Guinée Bissau et le Nord du Mali, en Afrique de l’Ouest. Carlos, un vénézuélien de 72 ans, interpelé en Mauritanie à la veille de la célébration de l’indépendance du pays, serait l’une des principales figures du réseau. Il avait déjà effectué un premier séjour de deux mois en Mauritanie, en mars 2014, sur invitation d’un membre du réseau, un Mauritanien du nom de Maloum Ould Ahmed. Ce dernier se rendait en Colombie pour préparer des cargaisons de drogue à acheminer vers la Mauritanie. Carlos, ce pilote vénézuélien à la retraite coordonnait l’acheminement de la drogue de la Colombie vers la Mauritanie et touchait jusqu’à 200 Mille Euros de commission. Parmi les autres figures du réseau on note, Amar Al-Azwadi, accusé par Sidi Mohamed Ould Haidalla de vouloir l’impliquer dans la récente affaire de trafic de drogue dont l’éclatement a abouti à une dizaine d’arrestations. Il y avait aussi, parmi les membres du réseau, Mohamed Yedali, Mohamed Bouya Ould Ledhem, et un deuxième Vénézuélien du nom de Lotcher. Et on compte dans le réseau Barkall Ould Ikrimeckh qui a été gracié, en 2011, par le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz.
28 décembre 2016. La Sûreté régionale du Brakna démantèle un réseau menant des opérations d’infiltration et de trafic de drogue auprès des populations carcérales au niveau de Nouadhibou et du Brakna. Neuf personnes sont arrêtées à Bogué et à Nouakchott.
16 septembre 2011. Le président de la Cour d’appel de Nouakchott a été radié et quatre magistrats ont été sanctionnés, après avoir fait libérer des personnes condamnées pour un très important trafic de cocaïne. La Cour suprême a annulé cette décision et ordonné la remise en prison de prévenus. Mais entretemps, trois d’entre eux ont fui : deux Mauritaniens, l’homme d’affaires Mini Ould Soudani et le commissaire de police Sid’Ahmed Ould Taya, ancien correspondant d’Interpol en Mauritanie et un franco-africain, Eric Walter Amegan, au parcours pour le moins surprenant. Ces personnes ont été arrêtées après la découverte d’un minibus contenant 760 Kilos de cocaïne en août 2007. Pourtant, à l’issue de leur procès en 2010, Eric Walter écope de 15 ans de prison puis est acquitté en juillet 2011 par la Chambre criminelle de la Cour d’Appel de Nouakchott.
Janvier 2009. La brigade maritime de gendarmerie de Nouadhibou trouve à bord d’un bateau de pêche 9,6 kilos de cocaïne destinée à une personne résidant en Espagne.
Le 31 mai 2007. Saisie de 630 kilos de cocaïne d’une valeur de 20 millions de dollars dans la nuit du 1er au 2 mai 2007 déchargés d’un avion de tourisme en provenance de Venezuela sur le tarmac de l’aéroport de Nouadhibou. L’équipage est parvenu à s’enfuir délaissant leur marchandise qui devait être stocké dans une villa à Nouadhibou avant son transbordement vers l’Europe. Sept personnes, des Mauritaniens, deux Français et un Marocain avaient été arrêtés mais pas le cerveau du groupe, Mohamed Ould Haidalla qui a été mis en cause par les enquêteurs, dont des membres d’Interpol. Dans cette affaire, un éminent homme politique avait été longtemps interrogé puis relâché, tandis qu’on évoquait l’implication du président du patronat mauritanien de l’époque. Un directeur de journal qui avait parlé de l’affaire a été poursuivi pour diffamation.
19 mai 2007. Les autorités judiciaires ont annoncé le démantèlement d’un réseau de trafic de drogue et la saisie de 1,5 tonne de stupéfiants. La quantité saisie est du chanvre indien, introduite en Mauritanie à l’aide d’une pirogue, depuis l’Océan Atlantique. Ont été arrêtées 6 personnes, y compris le cerveau du réseau, de nationalité étrangère.
En 2006, un groupe de jeunes Mauritaniens a détourné en pleine mer un cargo colombien contenant plus de huit tonnes de cocaïne. Personne n’a jamais été condamné dans ces affaires.
En 2002, partie de Nouadhibou, son port d’attache, une puissante vedette était interceptée par une patrouille franco-espagnole, alors qu’elle s’apprêtait à récupérer deux tonnes de cocaïne d’un navire en provenance d’Amérique latine.
En 1996, signalé par Interpol, un navire danois transportant près de 7 tonnes d’héroïne, pour un montant de 500 millions de dollars, avait été arraisonné dans le port de Nouakchott, la capitale.
Cheikh Aïdara