Immunité présidentielle et lutte contre la corruption
Une lecture descriptive de l’article 93 de la Constitution et de l’article 2 de la loi anti-corruption
L’immunité présidentielle est un principe fondamental en droit constitutionnel, visant à garantir l’indépendance de la fonction présidentielle et à protéger l’exercice des pouvoirs exécutifs contre toute ingérence judiciaire susceptible d’entraver la bonne exécution des tâches.
Cependant, cette immunité soulève d’importantes questions sur son interaction avec les engagements relatifs à la lutte contre la corruption, en particulier à la lumière des obligations internationales imposées par la Convention des Nations Unies contre la corruption, qui oblige les États parties à appliquer des normes spécifiques en matière de transparence, de responsabilité et de lutte contre l’impunité.
Dans ce contexte, l’article 2 de la loi anti-corruption vise à harmoniser la législation nationale avec ces normes internationales, en introduisant des mécanismes visant à prévenir la corruption et à renforcer l’intégrité des institutions publiques.
À travers cette lecture descriptive, nous analysons l’article 93 de la Constitution, qui accorde une immunité judiciaire particulière au président de la République, et examinons dans quelle mesure cette immunité est compatible avec les objectifs de l’article 2 de la loi anti-corruption.
L’objectif de cette étude est d’examiner l’interaction entre ces deux textes juridiques et d’évaluer leur compatibilité avec les engagements internationaux, afin de déterminer comment établir un équilibre juste entre la protection de la fonction présidentielle et l’assurance de la primauté du droit et de l’efficacité des politiques de lutte contre la corruption.
I – Fondement juridique
• La Constitution de la Mauritanie : elle représente la norme suprême dans la hiérarchie juridique et constitue la référence à laquelle toutes les législations et régulations doivent se conformer.
L’article 93 accorde une immunité constitutionnelle spécifique au président de la République pendant l’exercice de ses fonctions.
• La Convention des Nations Unies contre la corruption :
o L’article 2 insiste sur l’importance de définir de manière exhaustive la notion de « fonctionnaire public », englobant tous ceux qui occupent des fonctions publiques, quel que soit leur niveau.
o L’article 30 consacre le principe de « non-obstacle de la justice face aux immunités », ainsi que celui de « l’égalité devant la loi ».
• Loi n° 014-2016 sur la lutte contre la corruption : cette loi définit de manière exhaustive le terme « fonctionnaire public », englobant tous les individus occupant des postes d’intérêt général ou liés au service de l’État ou des institutions publiques, indépendamment de leur niveau hiérarchique, ancienneté ou salaire.
• Loi d’orientation n° 040-2015 du 23 décembre 2015 relative à la lutte contre la corruption : elle définit le concept de « agent public » de manière inclusive, en incluant tous les individus occupant des fonctions électives, exécutives, administratives ou judiciaires, quel que soit leur rang hiérarchique.
• Loi n° 054-2007 sur la transparence financière dans la vie publique : cette loi oblige le président de la République à déclarer ses biens, ainsi que ceux de ses enfants mineurs, au début et à la fin de son mandat.
II – Contexte et impact
Dans ce contexte, il est essentiel d’examiner la relation entre l’article 93 de la Constitution, qui établit l’immunité présidentielle, et l’article 2 de la loi mentionnée, qui définit les catégories de personnes soumises à la responsabilité.
1. Limites de l’immunité :
o L’article 93 de la Constitution empêche toute poursuite légale ou pénale à l’encontre du président de la République pendant son mandat, sauf en cas de « haute trahison », ce qui nécessite une procédure particulière, impliquant la convocation du Parlement et une décision prise à la majorité des deux tiers.
La structure de cet article est claire et spécifique, limitant l’immunité aux actes relevant de l’exercice des pouvoirs constitutionnels du président et les restreignant à la durée du mandat présidentiel.
o Limites de l’article 2 de la loi 014-2016 : Bien que l’article 2 définisse le « fonctionnaire public » de manière à inclure le président de la République, renforcé par les dispositions de la Convention des Nations Unies contre la corruption et celles de la loi cadre sur la lutte contre la corruption, son application durant le mandat présidentiel est en conflit direct avec l’article 93 qui accorde l’immunité. Par conséquent, les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être appliquées au président pendant son mandat, car l’immunité constitutionnelle prime sur toute législation ordinaire.
2. Expiration de l’immunité :
L’immunité prévue à l’article 93 de la Constitution prend fin dès l’achèvement du mandat présidentiel, sauf si les actes commis pendant le mandat relèvent de l’exception de haute trahison. Par conséquent, l’ex-président, en tant que « fonctionnaire public » au sens de l’article 2 de la loi anti-corruption, peut être tenu responsable après la fin de son mandat pour des actes liés à l’abus de pouvoir ou à l’enrichissement illicite. Cela signifie que l’ex-président est responsable des actes qui ne relèvent pas de ses fonctions officielles et peut être poursuivi en justice après la fin de son mandat selon les lois ordinaires.
III – Complémentarité et équilibre
1. L’article 2 de la loi anti-corruption inclut-il le président ?
Oui, l’article 2 inclut le président dans la définition de « fonctionnaire public », mais cette application est suspendue pendant la durée du mandat en raison de l’immunité constitutionnelle.
2. L’article 93 de la Constitution empêche-t-il toute responsabilité ?
Non, l’article 93 empêche la responsabilité uniquement pendant le mandat présidentiel, sauf en cas de haute trahison, et une fois le mandat terminé, le président peut être tenu responsable selon la législation ordinaire.
En somme, l’application de l’article 2 de la loi anti-corruption au président durant son mandat constitue une violation explicite de l’article 93 de la Constitution ; il est donc impossible de l’appliquer. Cependant, après la fin du mandat présidentiel, l’immunité constitutionnelle expire dans la mesure où elle concerne l’exercice des pouvoirs, et l’ex-président devient alors soumis à la loi comme tout autre citoyen, selon le principe de « l’égalité devant la loi » et celui de « l’accès à la justice malgré les immunités ».
Ainsi, un équilibre, une complémentarité et une harmonie sont réalisés entre ces deux textes, et il n’y a pas de conflit entre eux.
Conclusion
1. Il n’existe pas de conflit entre l’article 93 de la Constitution et l’article 2 de la loi anti-corruption, à condition de respecter l’immunité constitutionnelle du président pendant son mandat.
2. Pendant le mandat présidentiel : l’immunité constitutionnelle empêche toute poursuite légale ou pénale contre le président, à l’exception de la haute trahison, qui suit une procédure spéciale.
3. Après la fin du mandat présidentiel : l’article 2 de la loi anti-corruption peut être appliqué à l’ex-président, qui peut être tenu responsable comme tout fonctionnaire public selon les lois ordinaires et jugé devant les tribunaux pour les actes criminels dont il est accusé.
Cette approche assure un équilibre entre le principe de l’immunité présidentielle et le respect du principe de l’égalité devant la loi, tout en renforçant l’harmonie du système juridique mauritanien avec ses engagements constitutionnels et internationaux.
Me Abdellahi Gah