Pas d’indépendance sans réconciliation
Il est vraiment temps de commémorer sereinement, notre indépendance, en dissociant cette date charnière de notre jeune histoire, de celle des violations des droits de l’Homme, issus des événements tragiques durant les années 1990, toujours vivaces dans la mémoire collective.
Un dossier qui suscite bien des crispations et polarise encore une partie de l’opinion publique. Ces exécutions extra-judiciaires ayant eu lieu au sein des forces armées, entre septembre 1990 et février 1991, n’ont jamais été traitées, compte tenu de la loi d’amnistie, qui avait pour objet de clôturer ce dossier, au nom de considérations tenant à la préservation de la paix civile.
La vérité n’a donc pas été connue ou établie ni la justice rendue, faute de volonté politique. Les régimes successifs ont toujours cherché à couvrir ce qui s’est passé, au nom d’un soi-disant souci de préservation de la paix sociale.
Hormis une « prière » symbolique organisée à Kaédi, le 25 mars 2009, par Mohamed Ould Abdel Aziz, à la mémoire des victimes et quelques indemnisations, rien n’a été fait pour reconnaitre ou rendre justice aux victimes et à leurs ayants droit.
Mais la réconciliation nationale ne saurait être réduite à une simple indemnisation, aussi généreuse soit-elle. La réparation est une partie de la solution, mais elle reste symbolique, car l’argent n’indemnise pas une vie humaine.
Changer de stratégie
Dans ces conditions, le pays ne doit pas continuer à s’accommoder de la persistance d’un contentieux non résolu, car l’accumulation d’injustices historiques et la perception persistante d’exclusion et de discriminations ethniques et raciales…sont autant de facteurs qui fragilisent le tissu social, affectent l’unité et la stabilité du pays, et nous détournent des priorités de développement. Ils expliquent, en partie, la résurgence des revendications infra-étatiques et la prolifération de discours de la discorde.
Il est vraiment temps aussi de changer de stratégie dans la manière de traiter ce contentieux. Les approches partielles, qui ont prévalu jusqu’ici, consistant à nier ou à relativiser les violations des droits de l’homme, n’ont pas permis de régler définitivement ce dossier. Elles ont juste favorisé un repli identitaire, dans le sillage de discours et de contre-discours contribuant à délégitimer l’Etat. Il faut donc en tirer les conséquences et tourner définitivement cette page sombre de notre histoire.
Comment ? À travers une réponse massive, à l’échelle du risque, car il s’agit d’une véritable course contre la montre, en termes de prise de conscience.
Et la seule réponse viable est de ne plus faire dans la demi-mesure, d’ouvrir tous les dossiers des droits de l’homme et les traiter immédiatement, de manière décomplexée, proactive et approfondie, par la promotion d’une approche efficace susceptible de relégitimer l’Etat, d’apporter des solutions consensuelles, d’affaiblir les discours de discorde, de prémunir le pays des accusations, et d’en faire même un exemple en matière de justice transitionnelle.
Abroger la loi d’amnistie
Le point de départ de cette approche basée sur la justice et la réconciliation, qui va permettre de clôturer définitivement ce dossier, doit être l’abrogation de la loi d’amnistie de 1993 et l’engagement d’un processus de justice transitionnelle, en créant les conditions d’un dialogue qui permet de faire la lumière sur ces événements tragiques, de situer les responsabilités et de prendre des mesures destinées à éviter la répétition de tels actes et une réparation équitable.
Seul un processus juste, équitable et conforme aux standards internationaux, associant l’ensemble des parties prenantes, y compris les ayants droit des victimes, l’armée, les partis politiques, la société civile permettrait de jeter les bases d’une réconciliation durable.
A défaut d’un règlement juste, consensuel et inclusif, ces violations des droits de l’Homme continueront de miner notre cohésion sociale et notre unité nationale et d’empoisonner l’image extérieure de notre pays, ce qui nuit à toute opportunité de développement du pays et à toute perspective d’attirer les investissements et le tourisme. Il est donc vraiment temps de faire triompher la vérité et la justice, afin de tourner définitivement cette page sombre de notre histoire et célébrer dans la sérénité notre indépendance.
Mohamed El Mounir
Docteur en science politique
Ancien fonctionnaire des Nations Unies