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États de la justice sous Ould Boye

La situation de l’institution judiciaire n’a cessé de se dégrader depuis la désignation de Mohamed Mahmoud Ould Boye à la tête du Ministère de la justice. L’espoir suscité par sa nomination fut de courte durée et les critiques fusèrent de toutes parts.

La réflexion sur l’état actuel de l’institution judiciaire fait ressortir de nombreux dysfonctionnements dans l’appareil juridictionnel qui sont autant le reflet des échecs de Ould Boye à la tête de la justice. Ces dysfonctionnements peuvent être résumés comme suit:

-Un système judiciaire dominé par le tribalisme

Partisan d’une conception traditionaliste et identitaire l’actuel ministre de la justice considère la fonction de juger comme un attribut de sa communauté tribalo ethnique, la direction des juridictions et de leurs parquets devant être confiés aux magistrats appartenant à sa communauté, les autres devant être relégués à des fonctions subalternes. Ainsi les magistrats issus de sa communauté se sont vus attribuer les postes clés de l’appareil judiciaire, les magistrats issus de groupes sociaux différents ont été nommés à des fonctions secondaires , conseillers substituts..

Loin d’être le reflet d’une institution républicaine, la justice est aujourd’hui monopolisée par une élite tribale, le ministre de la justice Ould Boye ayant transformé le système judiciaire en bastion de sa communauté. Le Conseil Supérieur de la Magistrature, censé garantir le respect des critères de nomination et le fonctionnement correct de la justice est réduit à un simple rouage institutionnel sans pouvoirs réels. Cette dérive tribaliste fut dénoncée à plusieurs reprises par les instances représentatives des magistrats et une partie de la classe politique.

-Des affectations arbitraires de magistrats

A cette dérive tribaliste s’ajoute une tendance aux affectations arbitraires des magistrats du siège en violation du principe de l’inamovibilité des juges qui interdit les changements de poste sauf en cas de nécessité impérieuse de service. Sous le règne de Ould Boye, les affectations arbitraires furent monnaie courante et les garanties vidées de tout leur contenu.

L’affectation arbitraire pris parfois le caractère d’une sanction déguisée à l’encontre de magistrats jugés indépendants dans la conduite de leurs dossiers, comme ce fut le cas en 2022 du Président de la Chambre criminelle de la Cour suprême en 2022 du juge d’instruction en charge du dossier de Feu Soufie Ould Cheine, du Président de la Cour commerciale de Nouadhibou en 2023, du Président de la Chambre pénale de la Cour d’Appel de Nouakchott en 2023 ou plus récemment le Président de la Chambre criminelle de la Cour d’Appel de Nouakchott.

-une réforme judiciaire sans cesse repoussée

Il serait illusoire de croire que nos dirigeants actuels veulent réellement instaurer une justice indépendante du pouvoir exécutif. Le lancement des états généraux de la justice au mois de Janvier 2023 sur initiative du Ministre de la justice Mohamed Mahmoud Ould Boye relève davantage d’une stratégie de légitimation du pouvoir plutôt que d’une volonté réelle d’instauration d’une justice indépendante et représentative du corps social.

D’ailleurs l’initiative n’est pas nouvelle et l’histoire démontre que la réforme judiciaire fut utilisée par le passé à des fins de légitimation du pouvoir politique. Ainsi le régime de la transition de 2005 érigea la réforme judiciaire en principe directeur de son action. Mais dans les faits, les conclusions des assises nationales la justice furent écartées pour l’essentiel au profit d’un projet de réforme restrictif de la liberté des juges , préparé par le Ministre de la justice de l’époque Maître Mahfoud Ould Battah.

L’initiative prise par l’actuel Ministre de la justice/ Mohamed Mahmoud Ould Boye n’échappe pas à la tradition de méfiance qui jusque là a marqué les pouvoirs successifs vis à vis de la justice. La réforme censée être le fruit de concertation avec toutes les parties prenantes ne fut qu’une consultation de pure façade, s’inscrivant dans la même stratégie: engager un processus formel de concertation, sans pour autant céder à la revendication interne d’une justice indépendante et représentative du corps social.

Deux ans se sont écoulés sans qu’aucune mesure ne soit adoptée dans le sens de la prise en des attentes des acteurs de la justice. Dans son communiqué publié, le 05 Janvier 2025, le Club des Juges a fait part de sa déception vis à vis des promesses de réformes sans cesse repoussées.

-Ingérences dans les affaires judiciaires

De nombreux observateurs s’accordent à dire que les ingérences dans la sphère judiciaire se sont multipliées depuis la nomination Ould Boye à la tête la justice, citant à l’appui les pressions exercées sur les juges dans les affaires d’atteintes supposées aux symboles et les cas d’agression de journalistes et de blogueurs.

Les interférences dans le judiciaire sont une vieille histoire, mais elles semblent aujourd’hui prendre une dimension inquiétante, sous l’actuel Ministre. La menace d’affection pesant sur les juges et l’absence de garanties d’indépendance favorisant cette tendance. Telle est la situation critique que vit l’institution judiciaire sous la direction de Mohamed Mahmoud Ould Boye.

Je terminerai mon propos, en formulant le vœu que les pouvoirs publics se saisissent des problèmes de la justice et les intègrent au premier rang des priorités.

Mohamed Bouya Ould Nahy,
Ex-Procureur de la République de Nouakchott

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