Transparence : la Mauritanie améliore son score, mais est encore loin du but
Les eaux poissonneuses de la Mauritanie ont attiré les flottes étrangères depuis des décennies.
Avec l’extension de la zone interdite aux chalutiers industriels ciblant les petits pélagiques en 2012, de 13 à 20 milles, la flotte de l’UE s’est retirée, ce qui avait permis de diminuer l’effort de pêche industrielle sur la sardinelle ronde, avec la volonté de la réserver à la pêche artisanale.
Cependant, les pirogues sénégalaises pêchant les petits pélagiques ont été remplacées vers 2016 par des senneurs turcs affrétés. Ces derniers pêchent pour approvisionner les usines de farine et huile de poisson, une industrie en expansion depuis 2010 qui contribue à la surexploitation de stocks de petits pélagiques.
En 2017, la Mauritanie s’était engagée, à réduire progressivement puis éliminer la production de farine et huile de poisson pour 2020. Loin d’avoir été réduite, la capacité a depuis triplé et d’inquiétants développements montrent que la volonté politique pour renverser la vapeur fait défaut. Le manque de transparence autour de la capacité et de l’effort de pêche, couplée avec le manque de données scientifiques sur l’état des stocks, entravent une gestion véritablement durable du secteur de la pêche des petits pélagiques en Mauritanie mais aussi dans la région. En effet, 90% des captures internationales de sardinelles sont faites dans les eaux de la Mauritanie et de son voisin, le Sénégal. L’opacité complique aussi la tenue de débats publics informés et inclusifs de toutes les parties concernées, surtout celle des communautés de pêche artisanales.
La Mauritanie s’est positionnée à l’avant-garde de l’Initiative pour la Transparence de l’Industrie de la Pêche (FiTI), qui rend compte du degré de transparence dans 12 domaines liés à la pêche. Elle a publié en mai dernier son premier rapport, qui représente un pas vers plus de transparence. Néanmoins, ce rapport arrive avec beaucoup de retard et n’a couvert que 6 des domaines du standard FiTI.
Par ailleurs, le nouvel accord de partenariat pour une pêche durable avec l’UE signé fin juillet présente grosso modo les mêmes éléments de transparence et engagements des deux parties pour la durabilité que dans l’accord précédent, mais contient également des avancées qui peuvent être célébrées en matière de transparence, comme par exemple des annexes détaillées pour les déclarations de capture et l’accent sur la visibilité des actions de l’appui sectoriel.
La transparence, « un engagement moral »
Depuis le début de l’initiative FiTI, la Mauritanie s’est présentée comme un des pays phares pour mettre plus de lumière sur le secteur de la pêche. En bon hôte, le président de la Mauritanie a déclaré à l’inauguration de la Conférence Internationale sur la transparence et développement durable, que « la transparence est un engagement moral » et a annoncé l’adhésion à l’initiative pour la Transparence de l’Industrie de la Pêche (FiTI) en 2016.
Finalisé en 2021, le premier rapport de la FiTI rend accessible des informations relatives aux 6 premières exigences du standard FiTI. La Mauritanie est le deuxième pays à l’initiative à publier, après les Seychelles, un rapport de la sorte.
Ce processus de rapport a permis d’améliorer la transparence, car des informations non divulguées auparavant sont désormais publiques. Cependant, des lacunes restent dans le domaine des opérations après-capture, notamment en relation à la production de farine et huile de poisson. Par ailleurs la présence de flottes étrangères, soit via accord privé, soit via affrètement, reste partiellement opaque et rajoute de la pression sur les stocks surexploités de petits pélagiques, surtout les sardinelles rondes et plates.
A) FLOTTES ÉTRANGÈRES
Le rapport de la FiTI a permis au grand public d’accéder aux textes des accords étrangers dont on n’avait pas les détails. Sur le site web dédié aux normes de la FiTI, le point B.1.3. permet d’accéder aux accords étrangers, comme ceux avec les sociétés chinoises Fuzhou Hong Dong et Poly Hong Dong ou les accords avec l’Association Japonaise de Coopératives de Pêche au Thon. Le site fournit aussi par ailleurs des modèles de convention de pêche au thon et pêche pélagique et un contrat-type pour l’affrètement.
Le code de la pêche mauritanien institue deux régimes de pêche : le national et l’international. Le régime national comprend les navires nationaux ainsi que les « navires étrangers opérant sous le régime national » et il vise à « maximiser les retombées des activités post-capture profitant à l’économie nationale ». Mais ces régimes, bien qu’analysés dans le rapport FiTI, et la publication du nombre de navires dans le rapport, ne permettent pas de savoir quel est le réel effort de pêche dans les eaux mauritaniennes.
Par exemple, dans le cas des navires de la société Fuzhou Hong Dong pêchent sous pavillon mauritanien, l’accord n’est pas classé comme étranger. Il permet que 83 navires pêchent plusieurs types d’espèces, y compris 43 navires de pêche artisanale « dont l’exploitation est autorisée à des mauritaniens ». À cet égard, le Groupe Multipartite s’est prononcé : « Il s’agit d’un accord controversé et sa pertinence reste à prouver dans la mesure où ni les caractéristiques des navires (taille, puissance), ni les captures prévues ne sont renseignées ».
Un autre type de régime, l’affrètement de navires à coque nue, permet au navire de conserver son pavillon, avec l’autorisation du Ministère des Pêches et de l’Économie Maritime et à condition qu’il fasse les démarches nécessaires pour opérer sous la juridiction mauritanienne. C’est ainsi que, en dehors de l’accord Sénégal-Mauritanie signé le 12 juillet 2021 qui organise l’accès d’un certain nombre de pirogues sénégalaises aux eaux mauritaniennes, une série d’autres pirogues à senne tournante sénégalaises affrétées pêchent dans les eaux de la Mauritanie. Mais c’est aussi sous ce régime que se trouvent une quarantaine de senneurs turcs affrétés, qui depuis 2016 ont remplacé les pêcheurs artisans sénégalais ciblant les petits pélagiques. D’après nombreuses sources, leur effort total a fortement augmenté depuis 2017.
L’accès sous régime international se fait sous accord ou arrangement avec un pays tiers ou bien une entité privée. « L’accès sous ce régime étranger porte obligation de débarquement des captures en Mauritanie (dans des ports désignées) sauf dérogations pour raisons techniques, économiques ou de politique général ». D’autres navires étrangers peuvent pêcher sous les autres conventions pélagiques. Pour ces derniers, en 29 navires actifs exploitant des petits pélagiques en 2018 répartis entre 5 pavillons, notamment 11 navires russes et 10 battant pavillon de Bélize.
B) L’INDUSTRIE DE LA FARINE DE POISSON
Le rapport du Groupe Multipartite National FiTI ne couvre pas le domaine post-capture. Comme souligné depuis des années par de nombreux acteurs régionaux, des experts et la société civile, l’expansion de l’industrie minotière en Mauritanie -et dans d’autres pays de la région- contribue fortement à la surexploitation des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest. Avec un ratio de au moins 5 kg de poisson frais pour 1 kg de farine, le détournement des petits pélagiques de la consommation humaine vers l’aquaculture intensive dans des pays comme la Chine ou la Norvège compromet la sécurité alimentaire dans toute la région et prive les femmes transformatrices de matière première et donc d’emplois.
La Mauritanie avait mis en place plusieurs mesures pour préserver les stocks qui n’ont pas donné les résultats escomptés. Par exemple, les flottes de chalutiers pélagiques qui avaient étés envoyées au large en étendant la zone de pêche côtière de 13 à 20 milles ont été remplacées par une flotte étrangère d’origine turque affrétée ciblant les sardinelles pour approvisionner les usines de farine et huile de poisson. Suite aux plaintes des pêcheurs locaux, le gouvernement avait limité chaque usine à 10,000 tonnes par an de petits pélagiques – ou plus, tant qu’il ne s’agit pas de sardinelle ronde. Comme la quantité d’autres espèces n’était pas limitée, la mesure était sans effet car il n’y avait pas de contrôle de la composition des espèces utilisées.
D’autres mesures en 2017, pour « renforcer la sécurité alimentaire » étaient d’élever les taxes à l’exportation de 1 à 8% et d’augmenter le contrôle, le but étant d’accroître l’activité de transformation pour la consommation humaine de 0 à 15% jusqu’à atteindre les 60% en 2020. Néanmoins, fin 2020, le contraire s’est produit : plus de 25 usines étaient actives et les chiffres officiels confirmaient que près de 33 000 tonnes de farine et d’huile de poisson avaient été exportées le premier trimestre seulement. Ceci représente en pratique trois fois plus d’exportations qu’en 2010, et bien loin de l’élimination programmée et promise par les autorités pour 2020.
Au cours des cinq dernières années, la Mauritanie a négligé l’échantillonnage des débarquements dans les usines de farine de poisson. Ceci s’est traduit par un manque réel de données par rapport aux stocks, même si les experts les savent surexploités. Le groupe de travail de la FAO sur l’évaluation des petits pélagiques au large de l’Afrique du Nord-Ouest a recommandé chaque année d’augmenter l’échantillonnage ainsi que de diminuer l’effort de pêche sur la sardinelle, mais aucune mesure n’a été prise.
Compte tenu de la situation, la politique dans un tel cas devrait être d’adopter l’approche de précaution. Cependant, la politique semble continuer sur la même tendance. Il y a à peine un mois, une journaliste mauritanienne tirait la sonnette d’alarme par rapport à la dérogation pour qu’un senneur de 40 mètres d’origine turque puisse capturer des pélagiques dans une zone réservée à la pêche artisanale. L’autorisation « dans le but d’améliorer l’accès des populations aux produits halieutiques » et étiquetée « pêche expérimentale », selon le gouvernement, soulevait les questions et critiques de nombre d’acteurs, vu que le bateau ne possède pas de système de refroidissement et qu’il a précédemment fourni des usines de farine de poisson en 2020 et 2021.
2. Encore plus de transparence : l’accord de partenariat de pêche avec l’Union européenne
Deux ans après la date d’expiration de l’accord et suite à deux prolongations d’un an du protocole, de longues négociations, troublées aussi par la pandémie Covid-19, ont débouchée finalement sur un nouvel accord de partenariat pour une pêche durable (APPD) entre l’Union européenne et la Mauritanie. Le texte de l’accord et du protocole se trouvent maintenant au Parlement européen pour discussion.
Quelques changements peuvent être remarqués comme l’élargissement de la zone de pêche pour les petits pélagiques – conditionné à l’élaboration d’un plan de gestion et qui devrait être évalué à la prochaine commission mixte – ; une annexe-modèle de rapport en relation à la présence de flottes en Mauritanie et leurs activités ; et des dispositions supplémentaires concernant l’embarquement des marins pour mieux aligner l’accord sur la convention 188 de l’OIT sur le travail dans la pêche.
A) LA CLAUSE DE TRANSPARENCE
Insérée dans le protocole de l’accord précédent, la clause de transparence (art. 1§6) exigeait que la Mauritanie publie les informations nécessaires pour rendre évident l’effort de pêche dans ses eaux (accords privés, nombre de navires autorisés, etc.). L’inclusion de cet article a été un pas positif, mais insuffisant. L’évaluation rétrospective et prospective de l’accord, publiée par la Commission européenne en mars 2019, soulignait dans son sommaire que la Mauritanie « n’a pas pleinement respecté la clause de la transparence » car elle n’avait pas « soumis à temps » ni de « manière exhaustive » les informations sur les activités des flottes dans les eaux mauritaniennes.
L’évaluation souligne aussi que cela a difficulté les travaux du comité scientifique et de la commission mixte. En effet, en vue d’identifier un surplus potentiel et compte tenu des engagements de l’UE et Mauritanie en matière de durabilité et transparence, il est essentiel que ces informations soient publiques.
En outre, sans transparence il est impossible de savoir si la Mauritanie applique effectivement la clause de non-discrimination (art. 1§4 (2015) et art. 4§4 (2021)), qui cherche à créer l’établissement de conditions de traitement équitables (level-playing field) et qui interdit l’état tiers d’accorder aux autres flottes présentes dans ses eaux des conditions plus favorables que celles accordées aux acteurs économiques de l’UE.
La publication du rapport de la FiTI représente déjà une avancée car, bien qu’avec quelques limitations qui ont été soulignées par le groupe multipartite (voir la section 1a de cet article), les parties concernées ont maintenant une vue approximative d’ensemble sur l’effort de pêche …en 2018. Néanmoins, il convient de mentionner que sur le site du gouvernement dédié, le ministère a publié des accords plus récents et que la parution du rapport FiTI pour 2019 est prévue bientôt.
Une annexe inédite du nouvel accord avec l’Union européenne prévoit le rapport annuel sur les activités de pêche dans la Zone économique exclusive (ZEE) de la part de la Mauritanie qui a pour buts d’appliquer la clause de transparence, « ainsi que de vérifier l’évolution du reliquat […] après prise en compte de la capacité d’exploitation des flottes nationales ». Ce modèle exhaustif comprend le tableau complet de licences par type de pêche (artisanale, côtière et hauturière) et par régime (national – pavillon mauritanien ou affrété, et étranger), et des tableaux concernant les totaux de captures effectuées par espèce. Il est à espérer que la Mauritanie respectera les engagements pris par rapport à la FiTI et à l’UE.
Le respect de ces engagements en relation aux captures permettra de pallier aussi au manque de données scientifiques, sans lesquelles il était possible de vraiment déterminer un reliquat. L’élargissement de la zone de pêche sous la condition d’un plan de gestion est également bienvenu, ainsi que la détermination de l’axe 3 pour l’appui sectoriel de renforcer la recherche scientifique. Une clause de révision à partir de la troisième année permettrait de réviser les quantités au niveau du comité scientifique conjoint puis par la suite, de la commission mixte. Tout ceci devrait contribuer à de décisions plus transparentes et mieux informées pour la conservation des ressources halieutiques en Mauritanie.
Dans ce dernier accord, l’article 10.4 note également que les parties encouragent « la promotion des investissements visant un intérêt mutuel ». Dans une position commune en été 2020, la Confédération africaine d’organisations de pêche artisanale (CAOPA) et CAPE ont demandé qu’un cadre plus transparent et durable soit établi pour ces sociétés nationales à capital étranger, « une condition sine qua non pour que ce type d’investissements soit écologiquement et socialement durable ».
B) LA CLAUSE DE CONFIDENTIALITÉ
En 2020, il a été signalé que deux navires battant pavillon d’un état membre de l’Union européenne n’auraient pas respecté les zones de pêche établies dans le cadre de l’accord avec la Mauritanie, en venant pêcher très près de la côte, ce qui est illégal. Ces navires, le KAPITAN MORGUN et le FISHING SUCCESS, de pavillon léton et appartenant à une compagnie à capital russe, BALTREIDS, pêchent dans le cadre du protocole d’accord de pêche UE-Mauritanie et refusent systématiquement d’embarquer des observateurs scientifiques. Le manque d’informations sur les propriétaires bénéficiaires est un obstacle important à leur responsabilisation.
Le présent protocole prévoit le traitement de plusieurs catégories de données personnelles, y compris « les activités d’un navire […], son activité de pêche ou […] liée […] ; » et celles « relatives aux propriétaires et exploitants de navires » (voir art 17§3 du protocole 2021). Il est évident que ces données seront traitées mais non publiées, car ce paragraphe se trouve dans l’article concernant la confidentialité des données commercialement sensibles. Cependant, la publication de ces informations est également importante car les questions liées aux activités de ces bénéficiaires effectifs, notamment la pêche illégale, la corruption, le blanchiment d’argent, sont d’intérêt public.
Dans un premier pas pour lever le secret sur les bénéficiaires effectifs, l’UE avait mis en place en 2017 le règlement européen sur la gestion durable des flottes de pêche extérieures (Règlement SMEFF). Cette législation prévoit que la Commission européenne gère une base de données électronique des autorisations de pêche, comprenant des informations sur les bénéficiaires effectifs des opérations effectuées par des navires battant pavillon d’un État membre de l’UE.
À ce jour, ces informations restent confidentielles. Faciliter l’accès du public aux informations sur les bénéficiaires effectifs contenues dans cette base de données (nom, ville, pays de résidence du propriétaire et des cinq principaux bénéficiaires effectifs, ainsi que la nature et l’étendue de l’intérêt bénéficiaire détenu) serait une bonne première étape pour créer la transparence sur les bénéficiaires effectifs.
C) LA CLAUSE SOCIALE
En 2015, une clause sociale a été agréée par les partenaires sociaux européens et visait à garantir des conditions décentes de travail pour les pêcheurs non européens travaillant à bord des bateaux opérant dans le cadre des APPD. Cette clause applique les principes et droits fondamentaux au travail ainsi que les huit conventions fondamentales de l’OIT. Elle portait également sur les niveaux de rémunération, leurs modalités de négociation, les fiches de paie et les conditions d’emploi des pêcheurs.
Le protocole avec la Mauritanie de 2015 avait déjà introduit des exigences assez détaillées avant de permettre l’embarquement de marins locaux. Parmi ces conditions, l’on trouvait notamment la possession d’un exemplaire original du contrat de travail du marin dument signé ce qui garantissait ses droits et évitait une situation arbitraire. Un nouvel appendice (numéro 11) à l’accord renforce encore ces exigences demandant que le contrat spécifie « le montant du salaire du marin ou, s’il est rémunéré à la part, le pourcentage de sa part et le mode de calcul de celle-ci […] », les périodes de repos, la référence à la convention collective, etc.
Ces évolutions sont bienvenues car, dans la pratique, il est très difficile de garder un œil sur la mise en œuvre de cette clause sociale car la majorité des armateurs européens embarquent des marins à travers les services d’agents consignataires. Ces agents, habituellement des citoyens du pays tiers, préparent « la voie aux navires de pêche travaillant dans des pays réputés difficiles » et jouent le rôle d’intermédiaires face à l’État tiers et/ou face aux marins.
Le nouvel appendice 11 fixe aussi comme condition que le marin soit en possession d’un certificat attestant « qu’il a reçu une formation de base sur la sécurité en mer ». CAPE avait remarqué, suite à des échos d’acteurs sur place, que les marins embarqués n’étaient pas nécessairement ceux qui étaient formés et que les embarquements ne se faisaient pas selon des critères de transparence. Il est à espérer que ces critères soient maintenant respectés pour la sécurité de tous les marins à bord.
D) LA CELLULE D’EXÉCUTION DE L’APPUI SECTORIEL
Tant les communautés locales de pêche comme la société civile au niveau de Bruxelles critiquent le manque de transparence dans les choix d’allocation et d’utilisation des fonds d’appui sectoriel. L’accord avec la Mauritanie est de loin le plus onéreux des accords de partenariat pour une pêche durable de l’Union européenne avec des pays tiers. En effet, avec plus de 4,1 millions d’euros par an dans l’ancien protocole et un chiffre similaire pour le nouveau, la Commission a annoncé qu’il n’y aurait pas de versement pour la première année, car il reste un reliquat important de l’ancien protocole.
L’évaluation de l’accord en 2019 soulignait que « l’UE s’inquiète du coût public […] et souhaite une coordination plus renforcée ». Précisément, dans une position conjointe d’ONG et organisations de pêche artisanale européennes et africaines de mai 2020, y compris des pêcheurs mauritaniens, celles-ci demandaient que « les fonds publics servent le bien public » en soulignant les défis majeurs de transparence dans le processus décisionnel de l’allocation des fonds.
Dans le dernier protocole 2015, il avait été convenu que l’appui sectoriel serait géré par une ‘Cellule d’exécution’ qui était « chargée de coordonner la mise en œuvre en collaboration avec les bénéficiaires » des projets sélectionnés (Voir l’annexe 2 du protocole 2015, article 3§2). Cette mesure visait à surmonter le manque de transparence et de participation des bénéficiaires. Un rapport final sur la mise en œuvre de chacune des mesures et de chacun des projets devait être publié et un atelier annuel devait être organisé pour le présenter aux bénéficiaires (Voir les articles 3§3.3 et 3§3.7). Selon les communautés locales, cela a été fait partiellement car seule la cellule avait été mise en place.
L’Annexe 2 du nouveau protocole simplifie les dispositions en clarifiant le rôle de la cellule, les modèles de rapport et cherche à améliorer le suivi des fonds. En pratique, par contre, le texte ne garantit toujours pas une participation des communautés locales : la cellule de coordination est désignée par le Ministère (art. 19 et 20) et participe à l’identification des projets (art. 24) pour approbation de la commission mixte. Une session de restitution devrait présenter les actions finalisées (art.38).
Malgré une nouvelle mention à la visibilité des projets qui pourrait assurée par, inter alia, la « diffusion publique des rapports et études terminées » (article 52), cette dernière disposition reste à discrétion de la Mauritanie. Comme le demande la société civile et les communautés locales, l’UE et la Mauritanie devraient publier les rapports annuels concernant la mise en œuvre de l’appui sectoriel. Ce serait un premier pas pour faire la lumière sur la manière dont les fonds ont été dépensés, mais cela aussi permettrait un suivi plus rigoureux des fonds et activités et permettrait plus de cohérence avec d’autres fonds pour le développement de la pêche locale.
Conclusion
La transparence dans le domaine de la pêche est essentielle pour une gestion durable des pêches, pour des choix conséquents en matière de conservation des ressources, pour lutter contre la corruption et pour une participation effective de tous les acteurs concernés dans la prise de décision.
Suite à l’annonce récente de l’adhésion de Madagascar à l’initiative FiTI, la Confédération Africaine d’organisations de pêche artisanale (CAOPA) a publié un communiqué de presse en soulignant que la transparence ne devrait pas être volontaire, mais qu’elle devrait être perçue comme un droit. Même s’ils félicitent les pays qui s’engagent dans l’initiative FiTI, ils rappellent que « de nombreux pays ont signé des conventions juridiquement contraignantes sur l’accès à l’information, ce qui signifie qu’un manque de transparence peut être contesté devant les tribunaux ».
À cet égard, ils citent la Convention d’Aarhus (Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement), finalisée en 1998, dont l’Union européenne fait partie et demandent à l’Union Africaine de développer sa propre ‘Convention d’Aarhus’.
L’UE devrait saisir l’occasion du sommet UE-Afrique, qui devrait avoir lieu à Paris en février 2022, pour soutenir cette demande de la pêche artisanale africaine et pour promouvoir plus de transparence et participation des communautés concernées au-delà des Accords de partenariat pour une pêche durable, surtout en ce qui concerne les enjeux plus larges de la gouvernance des océans.
Par Joelle Philippe
Accords de partenariat pour une pêche durable, Transparence
Source CAPE