À Nouakchott, 300 imams mobilisés contre l’islam radical
PARALLÈLEMENT à la lutte armée contre les djihadistes, il convient de mener le combat idéologique contre l’islam radical, en renforçant le poids des imams traditionnels, chantres d’une culture musulmane favorisant « le vivre- ensemble ». Tel était l’objet de la Conférence africaine pour la paix, organisée par le cheikh Abdallah Ben Biya, qui avait convié la semaine dernière à Nouakchott quelque trois cents religieux – oulémas, imams, représentants de confréries soufies – appartenant principalement au Sahel et à l’Ouest francophone du conti- nent. Hôte pour la deuxième fois de l’événement, le président mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani, et son homologue du Niger, Mohamed Bazoum, qui avait fait le déplacement, n’ont pas manqué à cette occasion d’encourager cette reconquête des cœurs et des esprits, afin d’épauler les actions sécuritaires menées par leurs armées.Le cheikh Ben Biya fait autorité dans le monde musulman sunnite, et le soutien financier des Émirats arabes unis à son Forum pour la paix installée à Abu Dhabi lui offre les moyens de ses ambitions. Les Émirats pourraient même être intéressés, a-t-il été suggéré la semaine passée à Nouakchott, à sou- tenir des projets diffusant sa pensée en Afrique, à partir de la Mauritanie, le pays de naissance du cheikh. « Les érudits doivent clarifier les concepts de notre religion et diffuser ses vraies valeurs », a souligné ce dernier, qui a rappelé que « l’islam est une religion de paix », avant de vanter « la voie du dialogue », et le « renforcement du rôle de l’État-nation ». Le prési- dent Ghazouani, qui connaît le cheikh Ben Biya de longue date – les deux hommes sont passés par la confrérie animée par le grand- père de l’actuel chef de l’État mauritanien – entendait souligner que « sur le terreau fertile de la pauvreté, de l’ignorance et du sous- développement » (…) « l’extrémisme naît dans les têtes », et qu’il convient de mener « un travail sur les cerveaux », « une approche spi-rituelle et intellectuelle » pour en- L’Opinion, l’imam Dicko envisage”rayer la montée des violences djihadistes au Sahel.Rappelant le message philosophique de l’islam devant le même parterre d’érudits en religion, le président Bazoum a déconstruit le discours de l’islam radical, et fustigé « les jeunes incultes préposés à la violence dans notre région, qui pensent être au service de Dieu, et sont en réalité au service d’hommes cupides ». « Nous allons continuer avec des responsables comme vous et le président Ghazouani », l’a encouragé le cheikh Ben Biya en re- prenant la parole, « pour définitivement combattre cette maladie qui ronge notre société ».Autorité morale Comme deux années auparavant, mais dans un contexte qui donnait à sa présence plus d’importance cette fois-ci, l’imam malien Mahmoud Dicko a lu les recommandations de cette conférence, lesquelles soulignent l’urgence d’« aider à déconstruire le discours des terroristes et de lutter contre l’instrumentalisation de l’islam ». Personnalité influente dans son pays, l’imam Dicko, qui avait œuvré pour la fin du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, est aujourd’hui sévère avec la junte militaire dirigeant son pays. Toujours est-il, qu’il serait sans doute à nouveau prêt à retrouver le chemin des discussions avec les djihadistes qu’il avait emprunté naguère. Dans une interview au journal un tel « dialogue », et, avec les terroristes, « un débat doctrinal pour comprendre leur approche de la charia et la manière dont ils conçoivent son application. Ce ne sera pas facile. Ils sont convaincus du bien-fondé de leurs actions. C’est pour cela qu’il faut mandater des érudits afin de leur faire com- prendre que le djihad qu’ils préconisent n’est pas la solution ».La semaine dernière à Nouakchott, tous les religieux présents, dont l’imam Dicko et de nombreux Maliens et Sahéliens, reconnaissaient l’autorité morale du cheikh Ben Biya, dont la vision coranique – «une religion de paix » – s’oppose aux exégèses violentes que les djihadistes tirent de leur lecture fondamentaliste de certains écrits islamiques. Il y a quelques années, la Mauritanie était parvenue, sur son sol, à mener une politique de « déradicalisation » ayant permis de réinsérer d’anciens partisans du djihad. Les discussions avaient à l’époque été conduites, non par un imam proche de la pensée du cheikh Ben Biya, mais par un religieux appartenant à la sphère des Frères musulmans, plus proche des conceptions salafistes. Au Mali, une telle entreprise, scellant un éventuel accord politique avec un groupe djihadiste, serait d’une tout autre ampleur et, quels que soient les interlocuteurs, elle nécessiterait sans doute beaucoup plus de temps et d’argent.
Thierry PorTes Envoyé spécial à nouakchott (MauritaniE)