Une Conférence-débat, animée par un panel d’experts internationaux du monde universitaire et du renseignement, a été organisée, le 22 juin 2023, à l’Université de Genève, par le « Think Tank » suisse » Observatoire Géopolitique de Genève » sur la thématique du terrorisme au Sahel.
A l’ouverture du débat, plusieurs participants se sont interrogés sur la situation chaotique prévalant au Sahel et les raisons ayant conduit cette région à devenir l’épicentre du terrorisme. Sur ce point, les participants ont mis en exergue l’implication des mouvements séparatistes et, particulièrement, le Front Polisario dans les réseaux criminels s’activant dans la région sahélo-saharienne.
Cette question a ainsi été posée sur le cas du mouvement séparatiste du Polisario, dont les membres « frayent autant avec les groupes criminels qui ont la main sur le trafic d’êtres humains et de marchandises soit volées ou détournées avec l’aide des structures terroristes liées à « Al-Qaida ».
Pour répondre à cette pertinente interrogation, Alain Juillet, ancien Directeur du renseignement de la « DGSE », Paul Kananura, politologue et président de l’institut Afrika et Rémi Baudoui, professeur de Sciences Politiques et relations internationales à l’Université de Genève, ont rappelé comment et pourquoi le Sahel était devenu l’épicentre du terrorisme mondial, avant de dresser une cartographie complète des différents groupes qui sévissent dans la région.
Un exposé précis et rigoureux va mettre en évidence le manque de clairvoyance de la communauté internationale, laquelle inquiète aujourd’hui à l’idée que ce nouveau bastion du djihadisme puisse présenter tôt ou tard une menace pour les pays Occidentaux.
Rémi Baudoui, professeur à l’université de Genève et spécialiste de la question du terrorisme, a intervenu en rappelant l’influence des événements contemporains mondiaux sur la situation sahélienne. Il évoque les facteurs expliquant la dégradation de la situation globale des pays de la zone Sahélienne. Ce spécialiste du terrorisme précisera que ‘’l’émergence de la violence à travers la criminalité, les milices et groupes d’autodéfense et le terrorisme sont des phénomènes en constante expansion dans la région’’.
De son côté, Alain Juillet a introduit sa présentation par un tour d’horizon des différentes influences religieuses et historiques sur la région. Cet ancien directeur du renseignement de la DGSE, a souligné les conséquences de la colonisation sur l’équilibre politique des pays concernés. Il cite aussi les différentes divisions intra-nationales entre peuples du Sud et du Nord et le ressentiment nourrit par le souvenir d’anciens conflits reste un puissant catalyseur de rivalités. Alain Juillet reviendra sur la chute du colonel Kadhafi, l’exode des islamistes algériens repoussés au Sud et les stratégies des puissances environnantes qui influent lourdement sur la situation au Sahel.
Pour cet expert du renseignement, ‘’les nombreux conflits et désaccords nationaux, régionaux et internationaux ont conduit à une implosion de l’équilibre au sein de cet espace’’. Et de préciser qu’à cela, s’ajoute la gestion incomplète des opérations de lutte contre le terrorisme par les puissances occidentales, situation qui a favorisé l’émergence d’une nébuleuse de groupes terroristes qui se nourrissent de ressentiment des populations contre les puissances étrangères’’.
Selon Paul Kananura, ‘’l’instabilité influe sur la garantie de sûreté sociale, aujourd’hui absente dans les pays du Sahel’’. Il regrette aussi que les opérations internationales telles que l’opération Barkane, l’opération Serval et l’opération onusienne n’aient pas été suivies d’une maintenance afin d’assurer la stabilité en aval des victoires militaires contre les terroristes’’.
Et de poursuivre que ‘’les opérations ont été précédées d’actions malveillantes de la part de certains groupes locaux et que les conflits locaux, devenus internationaux de par leur importance, sont également en proie aux manipulations politiques, à travers des remaniements finement joués’’.
Paul Kananura va dresser, par la suite, un tableau de tous les aspects de la société sahélienne, concluant ainsi que la région est victime d’une instabilité durable et globale en s’interrogeant sur ; ‘’l’origine des ressources des terroristes indisponibles dans la région et est-ce la bonne stratégie que de s’attaquer à un mode opératoire global (le terrorisme) plutôt qu’à un groupe précis’’ ? Serait-il efficient de regrouper les stratégies antiterroristes au lieu d’en développer plusieurs à la fois selon les positions des partenaires ? Pour ce politologue, ‘’la présence de nouveaux acteurs antiterroristes et la convergence des stratégies militaires, d’un développement viable et des droits de la population sont à souhaiter pour espérer une diminution des faits de terrorisme au Sahel’’.
Ces échanges ont mis, par ailleurs, en évidence un autre problème politique sous-jacent lié à la question du Sahara. Un participant demandera si l’Algérie pouvait prétendre jouer dans la lutte contre le terrorisme dans le sahel, alors qu’elle soutient le Polisario sachant que certains de ses membres sont mis en cause dans des affaires de terrorisme ou impliqués dans des trafics illicites. Et de se demander également si le rapprochement de l’Algérie avec la Russie et l’Iran n’allait pas rebattre les cartes en matière de partenariat dans la lutte contre le terrorisme.
Interpellé sur la question sahraouie qui a surgi au cours de ce débat, Alain Juillet a répondu qu’au « Sahara occidental, la solution doit passer par une négociation qui doit mener vers une forme d’autonomie ». Or, ‘’je ne suis pas sûr que l’autonomie soit souhaitée par tout le monde’’. Ce que veut ‘’l’Algérie, qui soutient les Sahraouis, est un accès à la mer et si un pays est autonome, l’accès à la mer n’est guère garanti’’.
Pour le Président de l’Observatoire Géostratégique de Genève, M. Alain JOURDAN, « le délitement du mouvement séparatiste du Polisario, financé par l’Algérie, et jadis armé et agité par Kadhafi pour asseoir son influence dans la région, est aujourd’hui un vrai sujet de préoccupation « . De fait, ajoute-t-il, ‘’le rapport de force qui s’est noué autour de la question du Sahara et qui oppose Alger à Rabat a changé de nature’’.
Dans le même sillage, Alain Jourdan a souligné que ‘’l’Algérie, qui a fait part de sa disponibilité pour aider à lutter contre le terrorisme au Sahel, ne peut pas être considérée comme un partenaire de confiance’’ et que son soutien au Polisario apparait plus que jamais comme une manœuvre de déstabilisation extrêmement dangereuse dans un contexte régional déjà explosif’’.
L’Algérie s’est elle-même mise hors-jeu ? On comprend mieux les efforts qu’elle déploie pour passer sous silence l’implication de certains membres du Polisario dans des projets terroristes et des trafics en tous genres.