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Ministre, mode opératoire par Debellahi ABDEL JEIL

Un ministre doit avoir une bonne aptitude à la répétition, en réponse à tout ce que demanderait le Chef, le vrai.

Par exemple, savoir dire « oui » trois fois de suite, alors qu’en temps normal une seule suffirait, et remplacer systématiquement le non qui, fort heureusement, ne passerait par la tête que furtivement, par notre légendaire « pas de problèmes, pas de problèmes, Mahou Mouchkil… », ou les interminables « si, si, si,.. », « ok, ok, ok, …, et les « tout de suite, tout de suite… ».

Un ministre, nouveau ou reconditionné, devrait faire le plus rapidement possible, mais aussi de manière épisodique, des visites médiatisées dans ce qu’on appelle « les structures relevant de son département ». Une manière de faire un évènement de ce qui, dans la normalité, n’en est pas un.

En principe, c’est au cas où il ne visitait pas lesdits services que les médias de « service public » devraient en faire cas. Au cours des réunions télévisées, exigez, Excellence Monsieur le Ministre, que tout le monde vienne et débauche à l’heure, et qu’il se rapproche (désormais) des administrés.

Ce qui ne sera jamais fait, mais ceci n’est pas votre affaire. Votre mission est de le marteler publiquement, et non de le faire respecter réellement. Expliquez que vous êtes investi de la mission de redresser le secteur, et ne vous gênez surtout pas si, avant vous, personne n’avait admis qu’il était tordu. Vous aurez raison de dire, peu de temps après votre « intronisation » que tous les voyants sont au vert.

Ceux qui ne verront pas les mêmes couleurs que vous sont tout simplement daltoniens. En réalité, ce qui ne tournait pas rond était tout simplement votre prédécesseur.

Le problème c’est toujours ceux qui étaient là, avant vous, et avant ceux qui vous ont précédé. Vous, à votre tour, vous serez le pestiféré de votre successeur. Mais fort de notre culture nationale du faire semblant et du « Mahou Mouhim », vous ne vous préoccuperez certainement pas des médisances inéluctables du guignard et envieux de frustré qui aura la tâche de vous remplacer.

À chaque sortie médiatique, n’oubliez jamais de dire que vous êtes en train d’élaborer une vision, un paradigme, une stratégie, de nouveaux programmes, et patati patata… Comme si le pays venait de voir le jour avec votre avènement à ce poste qui avait tant besoin de votre clairvoyance. Les stratégies ébauchées par vos nombreux prédécesseurs ne sont pas bonnes, car vous n’en étiez pas le génial géniteur.

Faites rapidement ce qu’il est communément convenu d’appeler dans notre français administratif facile « un mouvement ». C’est seulement ainsi que votre autorité sera affirmée et perçue. Pour ce faire, donnez une fausse impression de sérieux et une illusion de méticulosité en demandant les curricula de tous les cadres, mais prenez juste le temps de faire une loterie.

Chamboulez tout le monde ! Celui qui était précédemment à l’est, mettez-le au sud, celui au nord à l’est, et ainsi de suite jusqu’à en perdre le sens des points cardinaux.

Ne tardez pas à modifier le portail d’accès au ministère. Déplacez-le, et changez sa forme. Ne lésinez pas sur les moyens, car il faut absolument marquer un changement constructif, et signifier à tous que les entrées du ministère, au propre comme au figuré, ne sont plus les mêmes.

Cela vaut ce que ça coûtera. C’est la seule façon qui vous est offerte pour imprégner votre marque et asseoir votre autorité.

Au conseil des ministres, ne regardez ni à gauche, ni à droite. Plongez en apnée et restez penché sur les grands parapheurs devant vous, même si vous n’y comprenez pas grand-chose. Évitez de parler.

Un conseil des ministres n’est pas fait pour discuter. C’est pour écouter ce qui va être dit et prendre connaissance de ce qui a été décidé. Si vous avez le portefeuille (ministériel) de l’intérieur ou des affaires étrangères, vous vous limiterez, toutes les semaines que vous serez là, à dire que la situation internationale est bonne, et que celle de l’intérieur est merveilleuse. Ne parlez que pour répondre à une question et, surtout, soyez très bref et trop vague.

Adoptez systématiquement le système très élaboré de réponses aux questionnements du Chef que nous avons décrit plus haut : les « oui, oui », les « si, si », etc… Ne soyez pas naïf, on ne demande pas de vous des réponses, pour la simple raison, qu’en haut lieu, on est au courant de tout. Il s’agit tout simplement de perpétuer notre emblématique culture du faire semblant.

Ne prenez jamais de décision. Attendez toujours les instructions, et donnez, à votre tour, des directives en précisant explicitement que vous mettez en œuvre les orientations reçues. Ne prenez aucune initiative. Elle peut vous être fatale. Restez à côté du téléphone rouge, et décrochez rapidement s’il sonnait.

Pour ne pas tomber en syncope, respirez une ou deux fois, et ne répondez que par « à vos ordres excellence » autant de fois que nécessaire. Même s’il raccrochait sans ménagements, gardez votre combiné jusqu’au retour de la tonalité normale. Reprenez votre respiration ! Vous êtes délivré !

Tenez à présider personnellement l’ouverture des ateliers, et laissez au secrétaire général la tâche de les clôturer. Il s’occupera pour vous des per diem. N’oubliez jamais de dire dans votre discours, que ce que vous faites bénéficie d’une attention particulière de la part du Président de la République, que c’est inscrit à son programme post et pré-électoral, et que le premier ministre le suit attentivement et s’emploie au quotidien à le rendre réel.

Au cours de vos déplacements en voiture officielle, mettez-vous naturellement sur la banquette arrière. Faites semblant de lire studieusement un dossier important. Ce subterfuge vous évitera de regarder par la vitre et le risque de croiser le regard d’un ancien ami. Vous ne devez plus saluer facilement ou afficher votre sourire habituel aux habitués. Vous devez, très rapidement, les sevrer et les contraindre à une attitude plus distante et réservée.

Abandonnez votre style jovial, et adoptez un visage plus renfrogné et glacial. On ne doit plus faire la différence entre votre sourire et le début d’une grimace d’un vieux Chimpanzé.

Ne tendez la main à quelqu’un que pour le maintenir à une distance qui l’oblige à renoncer à toute tentation d’accolade. Pas de familiarité, plus d’amitié, adieu la simplicité. Vous êtes devenu important, et vous devez vous comporter comme tel. Vous n’avez plus de passé, vous n’envisagez pas d’avenir, vous voulez tout simplement vivre pleinement votre présent.

Remplacez illico presto vos contacts téléphoniques et filtrez les appels que vous recevrez. Évitez que la secrétaire ne tombe dans le piège de « il (vous) dit qu’il n’est pas là ».

Aménagez une porte de dérobade pour éviter de rencontrer, en sortant, ceux à qui vous avez fait dire que vous êtes en réunion à la présidence, à la primature ou au parlement.

C’est ainsi, et seulement ainsi, que vous pourrez être apprécié de votre hiérarchie, respecté par vos collègues et craint par vos collaborateurs.

Debellahi ABDEL JEIL
N’Djaména le 05 juillet 2023

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