Ahmedou Ould Abdallah: «La reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par le Mali n’est pas à exclure»
RFI Afrique – Le dossier du Sahara occidental connaît quelques remous. Il faut dire que le torchon brûle entre le Mali et l’Algérie depuis que l’Algérie a reçu, il y a dix jours, des rebelles touaregs du Nord-Mali. Le Mali a rappelé son ambassadeur en poste à Alger. L’Algérie a fait de même.
En ligne de Nouakchott, Ahmedou Ould Abdallah, l’ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères, préside une société de conseil, le Centre 4S (Stratégie, Sécurité, Sahel, Sahara). Il livre son analyse.
RFI : À l’origine de ce coup de colère des Maliens, il y a l’invitation des rebelles touaregs et de l’imam Mahmoud Dicko à Alger. Mahmoud Dicko a même été reçu par le président Abdelmadjid Tebboune en personne. Pourquoi ce double geste de la part des Algériens ?
Ahmedou Ould Abdallah : Il me semble qu’Alger peut-être pensait qu’ayant contribué aux négociations des accords de paix, les tout derniers, il était nécessaire de faire un sondage auprès des principales parties prenantes au conflit. Naturellement, l’usage est de consulter le gouvernement officiel du pays. Je pense que cela a été fait. Si ce n’est pas le cas, ce sont les Maliens qui le savent.
Depuis quelques mois, les autorités maliennes mettent dans le même sac les rebelles touaregs du Cadre stratégique permanent (CSP) et les jihadistes du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Jnim) d’ Iyad Ag Ghaly. Ce n’est pas le cas des autorités algériennes, la preuve cette invitation du CSP à Alger. Est-ce que ce n’est pas cela qui fâche le plus les autorités maliennes ?
Les autorités maliennes sont fâchées, mais le Mali a connu beaucoup de crises internes. Tous les accords, qu’ils soient de Tamanrasset dans les années 1990 [6 janvier 1991] ou avant, ont été réalisés par l’intermédiaire de la diplomatie et de l’influence algérienne. Mais ceci étant, cela n’exclut pas le rôle du Maroc. Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), l’ancien président, me disait que, dès la montée violente du terrorisme, le Maroc a créé un institut pour former les imams, pour encourager l’islam pacifique et modéré, ce que beaucoup de Maliens, et pas seulement des Maliens, mais des gens de la région, ont apprécié, pensant que le terrorisme venait au contraire d’autres parties du Maghreb en passant par le Sahara, qui effectivement est difficile à contrôler.
Cette brouille entre Bamako et Alger est tombée la semaine dernière, au moment où le ministre malien des Affaires étrangères se rendait à Marrakech pour participer à une conférence régionale entre le Maroc et 4 pays sahéliens -le Mali, le Burkina, le Niger, le Tchad-, en vue de resserrer les liens économiques entre le Maroc et le Sahel. Est-ce que le Mali pourrait retirer sa reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique et basculer dans le camp du Maroc ?
Ce que je sais, c’est que, sous le général Moussa Traoré [1969-1991], le Mali a reconnu la RASD, le République arabe sahraouie démocratique. Le président IBK m’a toujours dit son souci de vouloir reconnaître la marocanité, comme on dit, du Sahara, mais il ne voulait pas gêner un partenaire algérien qui est très important dans la lutte contre le terrorisme. Beaucoup de Maliens pensent la même chose. Ils ont une frontière commune avec l’Algérie. Donc, il y a ce poids. Mais d’un autre côté, le poids de l’histoire des relations humaines fait qu’il y a une grande sympathie pour les positions du Maroc, que les Maliens ont toujours connu à travers les caravanes qui partaient du Maroc vers le Mali, en particulier Gao, Tombouctou, bien avant la présence européenne, la colonisation, et les échanges non seulement d’or, de sel, et les routes des pèlerinages, tout passait par le Maroc à travers le Sahara.
Donc, d’un côté, il y a le poids de l’histoire qui rapproche le Mali du Maroc, mais de l’autre, il y a le poids de la géographie qui rapproche le Mali de l’Algérie, car il y a une frontière commune entre le Mali et l’Algérie. Ce qui n’est pas le cas entre le Mali et le Maroc…
Oui. Je me souviens parfaitement de IBK me disant, après son élection [en 2013], son désir de reconnaître la marocanité du Sahara, mais qu’il ne voulait pas, en période de tensions, offenser ou se mettre à dos Alger. Je sais que, pour des tas de raisons, de nombreux Maliens, exceptées quelques populations du Nord qui sont liées par le commerce ou des problèmes humains à l’Algérie, et la plupart des officiels maliens que je connais souhaitent que ce dossier du Sahara soit clos avec une reconnaissance, sinon de la marocanité du Sahara, du moins pas d’activités qui la met en cause. Donc, oui, je pense que cette reconnaissance de la marocanité du Sahara n’est pas à exclure.
Par : Christophe Boisbouvier