La décision du président sénégalais de suspendre le processus électoral a pris de cous tous les observateurs.
Un coup d’état constitutionnel ? En tout cas tous les ingrédients sont réunis pour l’étayer.
En effet, l’élection présidentielle du 25 février est une décision émanant de la constitution. De ce fait il ne peut selon les juristes être modifié ou annulé par un simple décret car un décret ne peut pas primer sur une décision constitutionnelle. Une décision de l’exécutif ne peut pas annuler une décision de justice.
Dans la hiérarchie des lois la constitution prime sur le décret. Donc de ce point de vue sur le plan du droit la décision de Maky est jugé nulle et non avenue.
Les juristes invoquent l’Article 103 clause d’éternité qui dit que le mandat présidentiel est limité dans le temps. On ne peut donc l’augmenter d’une seule seconde. Donc comme prévue par la constitution le président Maky doit impérativement transmettre le pouvoir le 2 Avril prochain. Au-delà de cette date il sera dans l’illégalité, un précédent inédit et dangereux pour la démocratie sénégalaise qui a fait jusque-là figure de modèle pour toute l’Afrique.
Dans son discours d’hier à la nation Macky parle de crise institutionnelle et de l’organisation d’un dialogue pour assainir la situation et organiser des élections transparentes.
Les enjeux de cette élection du 25 février sont énormes avec entre autres l’entrée du Sénégal dans le club des pays gaziers.
Etonnant jusque-là aucune réaction significative de l’UA et des organisations sous-régionales et notamment de la CEDEAO qui a montré ses limites face aux putschistes en Guinée, au Mali, au Burkina Fasso, au Niger et au Gabon.
Il convient de rappeler que le président Sall qui était soupçonné d’œuvrer pour un 3ème mandat a maintenu le suspense jusqu’à la dernière minute. Et ce n’est que le 9 septembre dernier face à une pression politique et populaire insoutenables qu’il s’est rendue à l’évidence et a renoncé à briguer un 3ème mandat, désignant dans la foulée son Premier ministre Amadou Ba comme candidat de son camp à la présidentielle de 2024.
Mais avec le coup de théâtre de l’arrêt net du processus électoral, à la veille de l’ouverture de la campagne présidentielle pour le scrutin du 25 février, le président Sall est revenu à la case départ, replongeant consciemment ou inconsciemment le Sénégal dans une crise politique qui pourrait s’avérer très dangereuse pour la démocratie sénégalaise et au-delà pour la stabilité politique du pays et de toute la région.
Comment expliquer ce revirement somme toute spectaculaire. L’on sait que la signature du décret actant son départ du pouvoir le 02 avril prochain a été renvoyée à 4 reprises.
L’élection allait se dérouler sans 2 des principaux prétendants à savoir Ousmane Sonko, leader des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) dissous et bête noire du régime et Karim Maissa Wade, candidat du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) récalé pour la 2ème fois consécutive pour une histoire de double nationalité.
Coup bas du Premier Ministre Amadou Bâ crient les partisans de Karim qui ont fait appel de la décision et exigé le report de 6 mois de l’élection présidentielle. Et le président Macky a curieusement sauté sur l’occasion pour stopper l’élection et a ordonné la constitution d’une commission d’enquête parlementaire pour tirer les choses au clair.
En effet la moralité de certains membres du Conseil Constitutionnel est en jeu selon le raisonnement du président Sall.
Certains analystes sénégalais soupçonnent le PDS d’être de mèche avec le pouvoir du président Macky Sall au même titre que les rares personnalités comme l’ex ministre d’Etat Aly Ngouille Ndiaye, qui s’est empressé à répondre présent pour le dialogue auquel le président sénégalais a invité tous les acteurs ; un cheval de Troie affirme-t-on dont la mission sera de torpiller l’opposition.
Pour d’autres observateurs sénégalais, la mauvaise posture du candidat du pouvoir et la montée en flèche de Bassirou Diomaye Faye, co-fondateur et candidat du PASTEF ont donné des sueurs froides au président Sall qui a jugé plus prudent de stopper le processus, le temps de rebattre ses cartes et trouver un candidat plus consensuel que Mr Bâ qui semble-t-il est largement désapprouvé jusque dans le camp présidentiel où plusieurs tendances sont à couteaux tirés dont celle dirigée par Marième Faye Sall, la première dame qui ne voudrait pas d’une candidature du premier ministre actuel.
Si dans l’entourage immédiat on continue à observer un mutisme total face à cette dangereuse aventure du président sénégalais, au niveau international les réactions des grandes puissances ont fusé dès l’annonce de la décision du report avec une mise au point des Etats-Unis suivie par la France et l’Union européenne.
Quoiqu’il en soit, le Sénégal, havre de paix et modèle de démocratie en Afrique est entré dans une zone de turbulences qui n’augure pas de lendemains meilleurs si jamais le président Sall s’entête à réaliser son coup d’état constitutionnel.
Bakari Gueye