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« La situation a changé » : la Mauritanie appelle à revoir le partenariat migratoire avec l’Espagne

Info Migrants – Le porte-parole du gouvernement mauritanien souhaite réformer le partenariat migratoire conclu avec Madrid en 2022. Depuis le début de l’année, les départs d’embarcations depuis les côtes mauritaniennes pour les Canaries se sont multipliés.

Vers une réforme de l’accord migratoire Espagne-Mauritanie ? C’est ce qu’a en tout cas laissé penser le porte-parole du gouvernement mauritanien Nany Ould Chrougha mercredi 21 février, à la sortie d’une réunion de l’Exécutif. Aux journalistes présents, ce dernier a demandé à ce que le partenariat soit réformé, « car la situation a changé », relate l’agence de presse espagnole EFE.

« Nous avons déjà tenu deux cycles de négociations à Madrid et Nouakchott et un troisième aura lieu prochainement en Espagne », a-t-il précisé, sans toutefois fournir plus de détails sur les contours de cette évolution.

Le même jour, alors que des négociations ont débuté à Nouakchott entre des responsables mauritaniens et européens visant à lutter contre la migration irrégulière, le ministère de l’Intérieur Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine a en revanche tenu à souligner que la Mauritanie ne constituera pas une « patrie alternative pour les migrants ».

Ce dernier répond, avec ce communiqué, à des rumeurs insinuant que le pays s’occuperait de l’accueil, de l’hébergement et de l’installation des exilés, via un nouvel accord, avec Bruxelles cette fois.

Des agents espagnols en Mauritanie

L’accord migratoire entre Nouakchott et Madrid a été signé en novembre 2022. Il permet à la Mauritanie de bénéficier d’une assistance logistique et technique de la part de l’Espagne, pour lutter contre la migration irrégulière.

Des moyens humains, aériens, navals et terrestres sont ainsi fournis par les Espagnols pour surveiller les plages de Nouadhibou, principal ville de départ vers l’archipel des Canaries. Ainsi, une cinquantaine d’agents espagnols patrouillent en mer, dans l’air et sur terre pour surveiller les plages et les eaux mauritaniennes.

Chaque année, la Mauritanie touche par ailleurs 10 millions d’euros pour la formation de ses propres agents et l’achat de leurs équipements. En échange, Nouakchott s’engage à accueillir sur le sol mauritanien les exilés entrés de manière irrégulière aux Canaries après avoir quitté le pays, et à bloquer les départs des canots.

Une somme à laquelle s’est ajoutée, il y a deux semaines, 200 millions d’euros promis par l’UE pour « contrôler les flux de migrants ».

La coopération au sujet de la migration entre l’Espagne et la Mauritanie n’est pas nouvelle : en 2003 déjà, un accord similaire avait été signé entre les deux États, trois ans avant la crise des « cayucos », durant laquelle 32 000 personnes avaient débarqué aux Canaries.

Avec l’accord de 2022, Madrid s’aligne sur la politique migratoire de l’UE : celle de l’externalisation des frontières européennes. Objectif ? Stopper les migrants plus tôt sur la route de l’exil, en donnant des moyens financiers et logistiques aux pays de départ et de transit.

Renforcement des contrôles au Maroc

Le partenariat avec Nouakchott est régulièrement vanté par le gouvernement espagnol. En 2023, d’après les autorités, il a empêché « au moins 7 000 migrants » de prendre la mer depuis la Mauritanie.

Depuis le début de l’année en revanche, la route migratoire qui part de ce pays sahélien et mènent aux Canaries connait un net regain des passages. Sur les 7 270 migrants débarqués sur l’archipel en janvier, 83% avaient pris la mer depuis les côtes mauritaniennes, d’après les autorités espagnoles. Et en décembre, les arrivées en provenance de Mauritanie étaient également majoritaires, assure l’ONG Caminando Fronteras.

Une situation qui inquiète les autorités canariennes. Dans une lettre envoyée le 1er février au ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska, la ministre de la Présidence et de la Sécurité de l’archipel, Nieves Lady Barreto a fait part de sa « préoccupation » sur le fait que « la Mauritanie a cessé d’effectuer des contrôles aux frontières ». Selon elle, « 300 000 personnes attendent d’embarquer » sur un canot à destination des Canaries.

Le renforcement des contrôles plus au nord, dans le sud du Maroc, font partie des raisons qui expliquent l’intensification des départs à cet endroit. Soutenues également par l’Espagne, les forces marocaines ont arrêté l’an dernier environ 87 000 migrants en partance vers l’Europe, contre un peu plus de 70 000 en 2022.

D’après le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, les entrées irrégulières dans les îles Canaries avaient d’ailleurs baissé de 63 % au premier trimestre 2023, par rapport à la même période en 2022. La recrudescence des départs depuis le Sénégal cet été a depuis, fait exploser les chiffres.

« Les personnes âgées pleuraient »

La route qui mène de la Mauritanie aux Canaries, bien que plus courte que celle qui part du Sénégal, reste très dangereuse pour les candidats à l’exil. « Les pires moments, ce sont les couchers de soleil. Pour nous, c’est toujours un traumatisme, car cela signifie que la nuit, l’obscurité, la souffrance et le froid ont commencé », raconte à la BBC Aboubacar, originaire de Kayes au Mali.

Parti en 2006 à 17 ans, le jeune homme a passé quatre jours dans l’océan Atlantique avec 19 autres personnes, sans eau ni nourriture. « Les personnes âgées pleuraient, priaient, on aurait dit qu’elles devenaient folles », témoigne-t-il.

Si Aboubacar a finalement pu atteindre Grande Canarie, beaucoup d’autres exilés n’ont pas cette chance. Entre décembre 2023 et janvier 2024, « des centaines de personnes », réparties dans sept embarcations, « ont disparu sur la route mauritanienne », en majorité empruntée par des ressortissants du Sahel, avance Caminando Fronteras. Selon l’ONG, 385 personnes sont mortes en 2023 sur cette seule route.

« Peut-être qu’il est en prison. La famille veut savoir, mais je ne sais pas quoi leur dire », témoigne la tante d’un disparu auprès de l’association. « Il n’a pas encore appelé, mais quand il sera finalement arrivé, il appellera, n’est-ce pas ? ».

Par Marlène Parana

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