Élections présidentielles du 29 juin en Mauritanie : Décryptage avec l’homme politique Khally Diallo
Global Voices – Depuis son indépendance datant du 28 novembre 1960, la République islamique de Mauritanie a été principalement dirigée par des militaires. Mais à l’orée des élections présidentielles du 29 juin 2024, la classe politique mauritanienne reste déterminée à ce que le pouvoir revienne aux mains des civils, et y demeure.
Ancienne colonie française, la République islamique de Mauritanie est dominée par la présence du désert du Sahara. L’ouest du pays est bordé par l’Océan Atlantique qui offre un climat moins désertique. Le pays n’a connu que deux présidents civils élus à la tête du pays. Il s’agit de Moktar Ould Daddah (1960-1978), premier président renversé par Moustapha Ould Mohamed Saleck ; et de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi (avril 2007-août 2008) renversé par Mohamed Ould Abdel Aziz.
Mohamed Ould Ghazouani, militaire et président actuel est membre du parti Union pour la République (UPR), fondé par Mohamed Ould Abdel Aziz, ex-président du pays. Près de deux millions d’électeurs devront se rendre aux urnes pour les élections du 29 juin.
Rompre avec cette tradition de dirigeants militaires au pouvoir est le vœu le plus cher de Khally Diallo, membre du parti politique Front républicain pour l’unité et la démocratie (FRUD) et député à l’assemblée nationale mauritanienne. Avant de s’engager en politique, Diallo a aussi oeuvré comme journaliste et acteur de la société civile. Interviewé par Global Voices via WhatsApp, il décrypte les grands enjeux et défis de ces prochaines élections tout en pointant le bilan de Mohamed Ould Ghazouani, le président sortant.
Jean Sovon (JS) : Dans quelle atmosphère se préparent les élections présidentielles du 29 juin 2024?
Khally Diallo (KD) : Actuellement, il y a un litige qui tourne autour de la crédibilité de la commission électorale nationale indépendante (CENI) et de l’autorité de l’État chargé d’organiser les élections dans nôtre pays. Le choix de la population mauritanienne doit être respecté. Il faut donc que l’État fasse preuve de responsabilité pour que le processus puisse se dérouler en toute transparence.
Et nous allons dans ce sens avoir des concertations que nous espérons fructueuses avec toute l’opposition pour sécuriser et protéger le vote.
De notre côté, nous préparons ces élections avec beaucoup de sérénité, nous sommes très confiants. Nous allons à la rencontre de nos compatriotes militants et sympathisants à l’intérieur du pays à travers nos caravanes. Nous avons de très bon retours et marchons avec beaucoup d’enthousiasme vers une victoire au soir du 29 juin prochain.
JS : Le jeu politique est-il ouvert pour une bonne participation de tous les partis politiques? La société civile est-elle impliquée dans le processus?
KD : Il y a un système de parrainage imposé par le système en place qui demande à chaque candidat d’être soutenu par 5 maires et 95 conseillers municipaux. Ceux qui me suivent savent que j’ai toujours dit et répété partout qu’il faut revoir ce système de parrainage qui parfois vise à éliminer de manière ciblée des acteurs et mouvances politiques. Nous devons dépasser ces méthodes ancestrales qui visent seulement à éliminer les candidats à travers un filtrage malsain.
Je suis pour le parrainage, mais je propose une concertation de toute la classe politique pour établir un système de parrainage beaucoup plus transparent pour honorer notre démocratie. Néanmoins, je me réjouis de la participation de certaines figures incontestable de l’arène politique.
Concernant la société civile, je salue certaines initiatives qui réclament un processus transparent, mais je trouve qu’il faut les impliquer davantage pour un processus inclusif et transparent. La société civile joue un rôle prépondérant dans le processus électoral dans toutes les démocraties et il est impératif pour nous de faire plus de place à cette dernière pour des élections libres et transparentes.
JS : Quel est le bilan du premier mandat présidentiel de Mohamed Ould Ghazouani? Son parti est-il donné favori pour les scrutins du 29 juin?
KD : Tout d’abord je veux apporter tout mon soutien à la population mauritanienne car ces cinq dernières années ont été d’une difficulté extraordinaire. Ce mandat est d’une médiocrité exceptionnelle, nous avons connu toutes sortes d’humiliation tant au niveau national qu’à l’international.
A titre d’exemple : plus de 3 000 Mauritaniens ont fui le pays via le Nicaragua pour vivre aux USA ; la mort du jeune Oumar Diop dans un commissariat ; la mort d’Ould Cheine, activiste, lui aussi dans un commissariat ; celle de Mohamed Lemine Seck qui a reçu une balle tirée par un policier lors d’une manifestation dans le sud de la Mauritanie. Jamais la justice n’a été rendue.
Pour ma part, le bilan de Ghazouani est totalement catastrophique que ce soit au niveau économique, social, sécurité, politique… Le taux de chômage ne cesse d’augmenter, la corruption se propage comme un virus dans notre pays. Les Mauritaniens vivent difficilement et ont beaucoup souffert avec ce régime.
En outre, je le dis haut et fort: le parti au pouvoir ne peut aucunement sortir vainqueur de ces prochaines élections si toutes les dispositions sont prises pour un processus libre et transparent. Les populations veulent en finir avec ce système. Le peuple a déjà exprimé son ras-le-bol et veut sanctionner ce système. Ghazouani a perdu la confiance du peuple mauritanien.
JS : Quels sont les grands défis de ce scrutin? Quelle devrait être la priorité du prochain président de la Mauritanie? Qu’en est-il de l’esclavage dans le pays?
KD : Les grands défis et enjeux de ces scrutins sont l’organisation en elle-même du scrutin en toute transparence ; il faut donner la possibilité aux Mauritaniens de choisir en toute liberté leur président. La jeunesse est particulièrement excitée et suit de près le processus. J’en appelle donc à la vigilance et au respect strict et minutieux du processus en toute clarté.
L’esclavage dans notre pays reste un sujet omniprésent, je le regrette très fort et salue les efforts des organisateurs comme SOS Esclaves et autres. J’invite nos autorités à faire plus d’efforts, car c’est inacceptable que ce sujet demeure toujours un problème au 21ème siècle. Il faut alourdir davantage les sanctions à l’encontre de toutes ces personnes inhumaines qui pratiquent cette connerie.
JS : Longtemps minée par des coups d’État et violences jihadistes, la Mauritanie est aujourd’hui un pays stable et sécurisé, à l’inverse des autres pays sahéliens. Est-ce un succès du régime en place?
KD : La Mauritanie doit d’abord en finir avec l’armée au pouvoir et laisser les civils diriger ce pays. Ceci pose déjà un sérieux problème pour notre pays. Je n’ai jamais été d’accord avec les coups d’État mais je trouve que le plus important pour la stabilité dans notre pays c’est d’abord de combattre les militaires politiciens.
Le régime en place fait partie d’un système de militaires qui a pris ce pays en otage. Et nous en finirons définitivement avec ce système le 29 juin prochain, inch’Allah. Nous avons la certitude que cette année la voix des urnes sera entendue et que nous mettrons un terme à cette anomalie démocratique. J’aimerais d’ailleurs saisir l’opportunité que vous m’offrez pour faire un ultime appel à la jeunesse pour se débarrasser de ce système.
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Au regard des grands enjeux et défis que représentent la corruption et l’esclavage dans le pays, la bataille pour la magistrature suprême s’annonce donc très rude entre le président sortant et les autres candidats en lice.
Ecrit par Jean Sovon