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Quel régime juridique pour les lanceurs d’alerte ? Maître El Yezid YEZID, avocat

Depuis quelques années, l’espace d’information mauritanien connait une réalité récurrente : des personnes qui dénoncent publiquement la corruption.

Ce phénomène, qui n’est pas propre à la Mauritanie, a connu dernièrement deux exemples majeurs, qui l’ont porté à son paroxysme, l’affaire de l’ONG Transparence Inclusive et de son président l’ex-sénateur Mohamed Ould Ghadde et l’affaire du journaliste d’investigation Abderrahmane Weddady.

Mohamed Ould Ghadde a fait l’objet d’une plainte pénale, il a fait un séjour prolongé en détention provisoire avant d’être libéré, mais il fait toujours l’objet d’une instruction judiciaire.

Abderrahmane Weddady, quant à lui, a fait également fait l’objet d’une plainte pénale, il a été entendu par la gendarmerie et n’est pas à l’abri de poursuites pénales et d’incarcération comme son prédécesseur.

Ces affaires posent aujourd’hui, avec une acuité particulière et un intérêt nouveau, la question de ceux qui sont communément appelés les « lanceurs d’alerte ».

Un acte citoyen

Le lanceur d’alerte est généralement défini comme un individu, groupe ou institution qui adresse publiquement un signal d’alarme en vue de provoquer un mécanisme de régulation ou de mobilisation, bénévolement et dans un but d’intérêt général.

Le lanceur d’alerte ne se confond pas avec le délateur, dont les mobiles sont souvent égoïstes et contraires à l’éthique.

Sa situation est différente aussi de la dénonciation calomnieuse prévue par l’article 348 du code pénal, dont l’origine réside souvent dans un antagonisme personnel.

Il convient de signaler dès le départ que la dénonciation des faits délictueux a toujours été considérée par le législateur comme une obligation légale. C’est dans ce sens que les articles 56 et 57 du code pénal font obligation, sous peine de sanctions pénales, de dénoncer certaines infractions.

Mais au-delà de cette considération légale, la dénonciation publique des actes délictueux par les lanceurs d’alerte prend aujourd’hui les dimensions d’un acte citoyen, une forme de désobéissance civile qui expose son auteur, paradoxalement, à des sanctions disciplinaires ou à des poursuites pénales.

La démocratie n’est pas qu’un vain mot de façade ; revendiquer un régime démocratique implique forcément le respect de certaines libertés et principes fondamentaux : la liberté de dire la vérité, la transparence politique et économique, la bonne gouvernance, la responsabilité citoyenne, la recherche de la justice et de l’intérêt général.

C’est aux confluents de ces sources que s’abreuvent les lanceurs d’alerte.

Ces paroles libérées agacent généralement les autorités qui préfèrent le confort du silence et du statuquo.

Mais le temps n’est plus à la presse écrite, ni même aux premières radios privées, qu’on pouvait contrôler, censurer, museler, réduire au silence.

Les nouveaux canaux de communication favorisés par l’Internet (sites électroniques, Facebook, Whatsapp, TikTok, etc.) transportent l’information directement à l’intérieur des foyers et font fi de toutes les barrières.

Un phénomène qui s’amplifie

La parole libre et incontrôlable résonne dans chaque téléphone portable. À cela s’ajoute la prise de conscience progressive des populations quant aux impératifs de la bonne gouvernance.

Contrairement au temps de la colonisation et des premières décennies de l’indépendance, le fonctionnaire n’est plus un roi tout puissant.

Il fait face à des citoyens qui savent que l’argent public est le bien de tous et qui lui demandent sans cesse de rendre des comptes.

Ajoutons enfin que, dans un régime où la volonté politique de transparence et de bonne gouvernance est présente, les lanceurs d’alerte peuvent constituer un support efficace à la mise en œuvre de cette politique.

Il ne fait aucun doute aujourd’hui que le phénomène des lanceurs d’alertes va s’amplifier dans l’avenir, suite à la prise de conscience démocratique chaque jour plus effective, aux inégalités grandissantes et à l’amplification des réseaux sociaux (le million de vues sur Facebook dont se targue Ould Weddady est à cet égard révélateur).

Le lanceur d’alerte doit-il prouver ce qu’il dénonce ? Oui et non. Il doit avoir suffisamment d’indices et d’informations qui prouvent sa bonne foi, mais il est évident qu’il ne peut aller dans des preuves formelles irréfutables. Dans ce sens, le terme anglo-saxon qui le désigne est révélateur : « whistleblower », autrement dit celui qui donne un coup de sifflet. Le lanceur d’alerte ne fait que tirer la sonnette d’alarme, c’est aux autorités (administratives, judiciaires, etc.) de prendre le relais par la suite.

Mais cette sonnette d’alarme expose le lanceur d’alerte à des dangers multiples (sanctions disciplinaires de la part de ses supérieurs hiérarchiques, poursuites pénales sur la base de la dénonciation calomnieuse, de la diffamation, de la cybercriminalité etc.), ce qui pose la problématique de sa nécessaire protection, ou à tout le moins, la définition d’un régime juridique spécifique.

Ce qui est recherché ici est moins un régime d’impunité totale, qui pourrait ouvrir la voie à tous les abus, qu’un cadre juridique approprié permettant de séparer le bon grain de l’ivraie, afin que la voix de la vérité puisse être entendue.

Séparer le bon grain…..

Comment aménager un régime juridique des lanceurs d’alerte ?

Loin de nous la prétention de pouvoir répondre à cette question. Tout au plus pourrions-nous dire qu’en droit, le statut de lanceur d’alerte peut se définir comme l’attribution explicite à une personne, qui est protégée légalement par des garanties minimales, d’un droit de prendre publiquement la parole au nom d’un intérêt pour autrui, en contradiction avec le respect d’un secret quelconque et, éventuellement, en contradiction aussi avec les principes régissant son statut.

En réalité, la question de la définition d’un régime juridique s’adresse aux juristes, et par-delà eux, aux autorités qui doivent concevoir la prise en charge par le droit de ce phénomène nouveau et désormais inéluctable.

Les exemples en droit comparé foisonnent, particulièrement en Europe et en Afrique anglophone. Plus près de nous, au Sénégal, un projet de loi est en cours d’adoption.

En Tunisie, au Maroc et un peu partout dans le monde arabe, cette protection est une demande de plus en plus affirmée de la société civile.

Les définitions, les critères, les contenus varient d’un pays à l’autre, en fonction des réalités locales, des systèmes juridiques et des choix politiques.

Une même orientation semble cependant se préciser : la nécessité de la mise en place d’un cadre juridique de protection.

Alors, à quand une législation nationale protectrice pour les lanceurs d’alerte ?

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