Le manuel de l’élève et le guide de l’enseignant au cœur de la nouvelle stratégie nationale du manuel scolaire
Faire parvenir au kilomètre près le manuel de l’élève et combler l’absence du guide de l’enseignant au niveau des établissements de l’enseignement est au cœur de la nouvelle stratégie nationale du manuel scolaire que le Ministère de l’Education, via le Projet « Appui Institutionnel de la Réforme de l’Education (PAIRE) », s’apprête à mettre en place avec le concours de partenaire tels que l’Union européenne, l’Unesco, l’Unicef et l’Agence française de développement par le biais d’Expertise France.
Pendant deux jours, les 23 et 24 septembre 2024, plusieurs experts nationaux se sont réunis à Nouakchott, sous l’égide de consultants internationaux pour définir les principales lignes directrices de la nouvelle Stratégie nationale du manuel scolaire intégrant le numérique que le Ministère de l’Education et de la Réforme de l’Enseignement s’apprête à mettre en place.
Avec l’appui de l’Unesco, de l’Unicef, de l’Union européenne et de l’Agence française de développement via Expertise France, la réflexion autour du livre scolaire a ainsi réuni des experts du Ministère de l’Education, de l’Institut Pédagogique National (IPN) de l’Institut des Langues Nationales (IPELAN), de l’Ecole Nationale des Instituteurs, du Haut Conseil de l’Education, du Ministère de l’Economie, la Fédération des parents d’élèves, la société civile et les entreprises nationales d’impression.
Au cœur de la stratégie, l’article 47 de la Loi d’Orientation 2022-023 qui fixe trois axes stratégiques autour desquels s’articule la réforme du système éducatif mauritanien, à savoir, promouvoir un accès universel, équitable et inclusif à l’éducation, renforcer la qualité et la pertinence de l’offre éducative, et améliorer la gouvernance du système.
Le privé exige son implication
Contrairement à certains pays de la sous-région, comme le Mali, où l’Etat s’est désengagé de la production et de la distribution du livre scolaire qu’il a confié au secteur privé, en Mauritanie le manuel scolaire reste fortement centralisé entre les mains de l’IPN. Ainsi, les imprimeurs nationaux se plaignent du fait qu’ils sont écartés de l’offre nationale en matière de fabrication du manuel scolaire que l’IPN confie chaque année à des entreprises étrangères, notamment indiennes, moins disantes lors des Appels d’offres annuels pour l’impression des livres qui coûtent au budget national la bagatelle de 40 Millions MRU par an.
Selon M. Zeine Ould Cheikh Ahmed, Président de l’Imprimerie « Al Maraya », la production au niveau national du livre scolaire serait une aubaine pour les entreprises nationales, ce qui pourrait booster leur contribution à l’économie et à l’employabilité. En plus, il considère que ces entreprises sont capables de satisfaire la demande nationale en matière de manuels scolaires. Il trouve également que l’imprimeur mauritanien confronté aux frais de douane et des frais fiscaux paye plus de taxes que l’imprimeur indien, ce dont l’IPN devrait prendre en compte.
Seulement, les responsables de l’IPN trouvent que les prix proposés par les imprimeurs locaux sont exorbitants par rapport au budget qui lui est alloué et à ceux proposés par les entreprises étrangères.
Certains intervenants trouvent d’autre part que les imprimeurs mauritaniens ne sont peut-être pas au courant de l’exonération que leur accorde la loi sur la détaxation de tous les intrants du livre (papier, encre, etc), surtout en matière de livres scolaires, ce qui grève leurs charges dans ce domaine.
Le rôle de l’IPN
M. Moussa Ould Daouda, Responsable du Département Edition Impression de l’IPN, a présenté un exposé exhaustif sur le rôle de l’IPN dans la fabrication du livre scolaire. Selon lui, la demande réelle en manuel scolaire en Mauritanie se chiffre à 5,6 millions par an, mais que le budget alloué au secteur ne permet de produire que 1,16 millions de livres et qu’en 2024, 2,5 millions de livres ont été cependant commandés pour les cours préparatoires et les guides de l’enseignant. Il a précisé qu’il y a une période pendant lesquelles ces guides de l’enseignant n’étaient plus produits du fait que beaucoup d’enseignants ne les utilisaient pas et que ces guides pourrissaient dans les magasins.
Depuis 2016, a-t-il précisé, l’IPN s’occupe du volet édition et distribution du livre scolaire grâce à la mise en place d’un Fonds d’appui accordé par l’Etat. Entre 2017 et 2020, ce fonds représentait 20 Millions MRU avant que ce montant ne soit porté à 50 Millions MRU, avec 40 Millions pour l’impression et 10 millions pour la distribution.
Selon Moussa Ould Daouda, le coût du livre scolaire imprimé à l’étranger varie entre 0,6 dollar à 1,1 dollar et le coût moyen de livraison pour l’ensemble des ouvrages est de 50 euros.
Ainsi, avec le nouveau plan national 2024, 1,6 millions de livres ont été passés en commande au profit des 1eres et 2èmes années du Fondamental avec l’appui de la Banque Mondiale. Mais au vu de la lenteur prise dans les procédures, beaucoup d’intervenants trouvent que ces manuels ne pourront être disponibles qu’en 2025.
Par ailleurs, depuis 2021, une nouvelle politique du livre scolaire a été instituée avec un appel d’offres international et un appel d’offres national fortement conditionné par la durée d’exécution. En 2024, un Appel d’offres national a été lancé, selon Moussa Ould Daouda au profit des entreprises locales avec la condition que leurs coûts soient moindres que ceux proposés par les entreprises étrangères.
Il est toutefois reproché à la Mauritanie de ne pas avoir signé l’Accord de Florence de l’Unesco et son protocole de Nairobi sur l’importation d’objets à caractère éducatif, scientifique et culturel. Cet accord facilite l’importation de ces objets, réduit les obstacles en matière de tarifs, de taxes, de devises et d’échanges, permettant leurs acquisitions à l’étranger avec moins de difficultés et à meilleur prix.
La chaîne du livre, du manuscrit à la classe
Aliou Sow, consultant international guinéen, vingt-ans d’expériences à l’Institut national de recherche et d’action pédagogique de Guinée, ancien président du Réseau des éditeurs africains, membre du Comité d’experts en manuels de l’Unesco, a été le principal animateur de l’atelier sur la nouvelle stratégie mauritanienne du manuel scolaire.
Il a fait trois présentations très détaillées sur la Chaîne du Livre, sur la structure des coûts du manuel et sur les constats et défis de la distribution des manuels scolaires dans la sous-région.
Pour lui, le manuel scolaire n’est bon que lorsqu’il parvient aux élèves en début d’année scolaire et au meilleur prix conformément aux prescriptions de la politique nationale du manuel scolaire.
Parmi les défis qu’il a énumérés, ceux qui sont liés à la distribution, notamment le faible nombre de grossistes et de librairies, surtout à l’intérieur du pays, les difficultés climatiques pour la conservation, et ceux liés à l’étendue du territoire ainsi que la qualité des routes. Selon lui, la distribution doit être budgétisée au même titre que la production et que les institutions émettrices, ici l’IPN, doivent être sûrs que le livre arrive à destination dans les écoles et non stocké dans les magasins au niveau des Directions ou Inspections de l’Enseignement (DREN et IDEN). Il trouve que le choix le plus indiqué dans ce cadre est le mode de distribution confié au secteur privé.
En plus, la gestion et la conservation du livre scolaire constituent selon lui d’autres défis, ajouté à celui lié à la traçabilité du livre depuis son envoi par l’IPN jusqu’à la réception au niveau de l’établissement scolaire. Parmi les problèmes récurrents qu’il a cités, la déperdition des livres au cours de la livraison, la qualité de leur stockage, celle de l’emballage, mais surtout, la non livraison, que le livre n’arrive pas à destination.
Parmi également les défis, le difficile accès au système de crédit par les éditeurs, la non implication des associations de parents d’élèves dans le processus, le manque de ressources humaines compétentes, comme les illustrateurs au moment de l’édition, ou encore les correcteurs, le contrôle qualité au tout début du processus de fabrication, mais aussi la participation limitée des éditeurs et libraires locaux au moment des appels d’offres.
Le Secrétaire général de la Fédération nationale des parents d’élèves s’est plaint au cours de la rencontre du fait que les associations de parents d’élèves, pourtant présentes sur l’ensemble du territoire national, n’ont jamais été associées au processus de production, de distribution ou de livraison du manuel scolaire, ni de l’utilisation des fonds qui lui sont destinés.
Toutefois, l’expérience pilote en cours dans la région du Brakna et de Nouakchott-Nord et qui couvre plus d’une centaine d’écoles, ouvre des perspectives nouvelles dans la mesure où elle s’engage dans une distribution directe du manuel scolaire de l’IPN vers les établissements scolaires sans passer par les magasins des DREN et des IDEN. Un comité de gestion installé dans chaque école réceptionne et gère les manuels dès leur réception. Ce Comité est composé du directeur de l’école, d’un représentant des parents d’élèves, d’un enseignant, d’un représentant de la commune et d’un représentant des élèves.
D’autre part, un nouveau métier pourrait encore voir le jour en Mauritanie, comme il l’est déjà à merveille au Mali avec l’appui de la coopération canadienne, c’est celui de « Réparateur de manuels scolaires ». Cela permettra de créer des emplois et économiser des devises pour l’achat annuel de manuels scolaires.
Voici quelques avis d’enseignants interrogés à ce sujet
Bakary Guèye, professeur du secondaire : « Nous sommes experts dans les beaux discours. Savez-vous que même à Nouakchott, le manuel scolaire n’est pas disponible ? Même l’enseignant est obligé de payer le prix fort pour se le procurer. Et pourtant ce n’est pas l’argent qui manque. Il y a un fonds d’une enveloppe de 1 Milliard d’ouguiyas ancien et des financements à gogo. Mais le livre scolaire constitue une vache à lait. Il est l’objet d’un trafic juteux et la plus grande partie des commandes de l’IPN se retrouve dans les librairies par terre du marché de la Capitale où les manuels se négocient entre 3.000 et 5.000 anciennes ouguiyas (MRO) au lieu de 100 ou 200 MRO dans les kiosques toujours vides de l’IPN. Il faut d’abord que le Ministère démantèle ce trafic tenu par la mafia du livre. La complicité se ramifie jusqu’au niveau du ministère, car ce dernier a été interpellé plusieurs fois par les enseignants sans que ce trafic ne cesse. Nous sommes devant un flagrant délit qui détruit l’école mauritanienne. C’est la priorité des priorités. Tout le reste n’est que littérature. Et ce trafic est trop juteux, il génère des milliards d’ouguiyas au cartel du livre tapis dans les méandres du ministère de l’Education et à l’IPN. »
Boubekrine Ahmed, enseignant : « Il m’arrive de payer jusqu’à 15.000 MRO pour les manuels scolaires de mes enfants. Je ne trouve pas ces manuels ni chez mes autres collègues, enseignants ou directeurs. Et quand je me rends au marché je les trouve à gogo à 1.500 ou 2.000 MRO. Les manuels de Français, Arabes ou Education islamique, tu ne les trouves pas à moins de 2.000 MRO. Pourtant, chaque année on voit des files de voitures remplis de livres sortir de l’IPN pour les écoles de l’intérieur du pays et ces derniers nous téléphonent pour nous demander de leur envoyer des livres alors que nous qui sommes à Nouakchott, on ne les trouve pas. »
Cheikh Aïdara