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De l’invisibilité institutionnelle à l’amnésie mémorielle. Par maître Taleb Khyar o/ Mohamed Mouloud

Il ne faut pas se voiler la face ; les populations dont l’amnésie mémorielle est recherchée à travers la réforme de l’enseignement, sont bien les populations négro-africaines, c’est-à-dire les toucouleurs, les soninkés et les wolofs.

Ce sont ces populations dont on veut gommer la mémoire, par l’obligation qui leur est faite d’apprendre une langue dans laquelle ils ne s’identifient point, d’acquiescer à travers cet enseignement à des valeurs qui ne sont point les leurs, pour se voir à terme assujetties à une culture dont les promoteurs veulent faire de l’enseignement un levier de suprématie et de domination.

Gommer la mémoire est une arme d’extinction , alors que les communautés concernées, sont déjà victimes d’une exclusion, comme cela est perceptible à travers les privations de leur élite de toute responsabilité majeure dans l’administration, l’armée et la justice, en violation flagrante de la constitution en son article 12 qui dispose que « Tous les citoyens peuvent accéder aux fonctions et emplois publics sans autres conditions que celles fixées par la loi ».

Dans la même veine, on peut rappeler l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Mauritanie, aux termes duquel : « Tout citoyen a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu, d’accéder dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays », et cet article de poursuivre : « Toutes les personnes sont égales devant la loi, et ont droit sans discrimination, à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination, et garantir une protection égale et efficace contre toute discrimination………………. ».

On pourrait ajouter, s’il en était besoin, les dispositions pertinentes de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, qui figure en bonne place également dans le préambule de la constitution mauritanienne, et qui prévoit en son article 21 alinéa 2, que « Toute personne a droit à accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques de son pays », dispositions reprises par la Charte africaine des droits de l’homme, à laquelle la Mauritanie est partie prenante, comme cela est proclamé dans le préambule de la constitution.

Il faut regretter qu’en la matière, les dispositions pertinentes de la constitution, comme celles des conventions internationales auxquelles la Mauritanie est partie prenante, soient sans cesses transfigurées par toutes sortes de passe-droits, d’instructions et de circulaires anticonstitutionnelles, débouchant sur des voies de fait, et autres exclusions arbitraires et discriminatoires, empêchant ces communautés de postuler à toute fonction, ou de s’y maintenir, victimes comme elles le sont déjà, d’une invisibilité institutionnelle.

Pour revenir au propre du sujet, il suffit de rappeler que l’éducation doit viser le plein épanouissement de la personnalité humaine, tendre vers le renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et que « les parents ont par priorité , le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants » comme le prévoit l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, en son dernier alinéa.

Au moment où la langue soninké se voit bénéficier d’un statut international, où la langue peulh est l’une des plus écoutées sur les radios internationales, et l’une des plus parlées au monde, avec plusieurs dizaines de millions de locuteurs, aussi bien en Afrique de l’Ouest, que Centrale, qu’en Afrique de l’Est, y compris jusqu’aux berges de la mer rouge, où le wolof qui est en nous comme nous sommes en lui*, connaît un rayonnement culturel, aussi bien en Afrique, qu’en Europe, qu’aux Etats-Unis ; vouloir à ce moment-là gommer ces langues, est une erreur stratégique qui vient exacerber les antagonismes d’une pluralité culturelle mal assumée, ce qui explique d’ailleurs, que de temps à autre, il y ait une activation de l’offre identitaire par des entrepreneurs de violence, qui font de la survalorisation d’une identité au détriment des autres, un fonds de commerce florissant. La fonction essentielle de ces entrepreneurs de violence, ici comme ailleurs, est de calquer leur stratégie sur les dysfonctions sociales, en prévision d’une défiance généralisée, propice à des affrontements intercommunautaires.

Dans des pays où le concept de société civile ne porte pas écho, où l’allégeance à l’Etat est prompte à céder le pas aux allégeances tribales, communautaires, religieuses, les entrepreneurs de violence, qui parient sur les exacerbations identitaires, auront toujours le beau rôle; on a vu ce que cela a donné au Soudan, avec une partition du pays, qui se poursuit malheureusement ; on a vu ce que cela a donné dans la région des grands lacs, avec des conflits intercommunautaires virant au génocide, outre une remise en cause du principe de territorialité* ; on a vu ce que cela a donné en Ethiopie, mais aussi en Syrie avec l’extermination des yazidis, extermination également des kurdes aussi bien du côté syrien que turque ; ce que cela a donné au Nigéria devenu le Pakistan noir de l’Afrique, avec des conflits intercommunautaires à connotation religieuse, outre les conflictualités classiques, entre éleveurs et agriculteurs que l’on retrouve du reste un peu partout, dans les pays confrontés à de tels dysfonctionnements,…………..etc.

On pourrait prolonger à l’infini la liste des pays, où les tutelles clientélistes, sectaires, ethniques, religieuses, ont remplacé l’allégeance citoyenne aux Etats, contribuant de la sorte aux rivalités intercommunautaires.

Evidemment, je vous fais grâce des atrocités qui accompagnent ces dysfonctionnements sociaux :pauvreté, insécurité alimentaire, pillages, viols collectifs, tueries en masse, création de camps où les populations civiles, qui deviennent réfugiées dans leur propre pays, et les seules victimes de ces dérives identitaires, se retrouvent parquées dans des camps de fortune, en attente d’une hypothétique protection, et d’une prise en charge non moins hypothétique, par des associations, de plus en plus en mal de financements.

Revenons à la Mauritanie, pour dire simplement que ceux qui ont renoncé à leur berbérité, ne devraient pas se croire autorisés, pour se faire bonne conscience, à imposer leur choix aux autres nationalités négro-africaines de Mauritanie, qui tiennent elles, à leur négrité*.

*Avocat à la Cour

*Ancien membre du Conseil de l’Ordre

*N’oublions pas que nous avons avec les wolofs, une ancêtre commune en la personne de la reine du Walo Djeumbeut Mbodge

*Ces conflictualités finissent immanquablement par impliquer les populations qui se trouvent d’un côté comme de l’autre des frontières communes au pays concerné avec ses voisins, ce qui remet en cause le principe de territorialité, et au-delà, conduit à l’internationalisation de la crise.

*La négrité est un concept d’usage peu courant, dont la charge militante est plus radicale que celle de la négritude.

La négrité est à la négritude ce que l’arabité est à l’arabisme

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