La Mauritanie à la tête de l’Union africaine : entre neutralité et médiation dans un continent sous tension
Revue Conflits – Depuis février 2024, la Mauritanie occupe la présidence de l’Union africaine (UA). La présidence étant tournante entre régions d’Afrique chaque année, c’est la troisième fois que l’Afrique du Nord brigue le mandat, et la deuxième fois qu’elle élit la Mauritanie.
Cette désignation n’est pas anodine. Le continent africain attend de Nouakchott un rôle de médiateur dans les multiples conflits qui le divisent, et d’être un interlocuteur crédible dans les grandes réunions internationales pour représenter les intérêts africains.
L’élection mauritanienne : un consensus difficile dans un bloc nord-africain divisé La nomination de la Mauritanie à la présidence de l’UA est avant tout le fruit de longues et délicates tractations au sein du bloc nord-africain.
L’Algérie et le Maroc ont présenté des candidatures qui se sont mutuellement neutralisées. La Tunisie, autrefois considérée comme un acteur stable, a vu ses ambitions diplomatiques compromises par des déclarations controversées de son président, Kaïs Saïed, sur les migrants subsahariens. Les propos ont été jugés discriminatoires par plusieurs pays africains et par l’UA. La Libye, plongée dans un conflit interne depuis plus d’une décennie, n’était pas en mesure de postuler, et l’Égypte, qui avait dirigé l’UA en 2019, ne pouvait briguer un nouveau mandat si tôt.
Face à ces blocages, la Mauritanie est apparue comme un choix naturel. Nouakchott avait initialement exprimé des réserves, hésitant à assumer les contraintes logistiques et diplomatiques. Le président Mohamed Ould Ghazouani avait notamment d’autres priorités, comme sa réélection en juin dernier. Mais, la pression exercée par les autres membres du bloc l’a finalement convaincu. Sa position neutre et son absence de rivalités majeures avec ses voisins ont contribué à faire de la Mauritanie le candidat le mieux disposé à remplir la fonction.
La Mauritanie, bien que peu habituée à occuper le devant de la scène internationale, bénéficie d’un positionnement diplomatique qui lui permet de jouer un rôle de médiateur. Contrairement à d’autres nations africaines, souvent perçues comme partisanes dans les conflits régionaux, Nouakchott peut engager des discussions sans susciter de méfiance. Mohamed Ould Ghazouani est lui-même reconnu par ses interlocuteurs comme un solide diplomate : descendant d’une noble lignée d’érudits et de marabouts, il est un homme du désert au caractère tranquille.
Un contexte africain sous tension
La présidence mauritanienne intervient à un moment critique pour l’Union africaine. En Afrique de l’Ouest, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est divisée à la suite du retrait annoncé de trois régimes militaires – le Niger, le Mali et le Burkina Faso – de ses instances.
Dans les Grands Lacs, la guerre au Kivu entre le Rwanda et la République démocratique du Congo menacent la stabilité de la région, tandis qu’au Soudan, la guerre civile continue de ronger le pays déjà très affaibli par vingt ans de combats intérieurs.
D’autres problématiques, comme les tensions autour de l’accès à la mer entre l’Éthiopie et la Somalie, ou encore la situation fragile en Libye, compliquent davantage le paysage géopolitique. Dans ce contexte, la Mauritanie est perçue comme un acteur pragmatique, capable de réunir autour de discussions des parties souvent antagonistes.
Une présidence active
Depuis son accession à la présidence, la Mauritanie a finalement montré qu’elle souhaitait remplir sérieusement son rôle dans la gestion des dossiers sensibles. En Libye, où la rivalité entre factions politiques et militaires continue de paralyser le pays, Mohamed Ould Ghazouani a mené une délégation de l’UA à Tripoli pour soutenir une charte de réconciliation nationale. Ce texte vise à rassembler les parties prenantes autour d’un socle commun pour organiser des élections et réunifier le pays. Une nouvelle mission à Benghazi, siège du pouvoir de l’Est libyen, est déjà prévue.
Sur la scène internationale, le président mauritanien a également porté la voix de l’Afrique lors de forums stratégiques. Ainsi, l’UA était présente à tous les grands rendez-vous internationaux : Sommet du G7, Sommet Corée-Afrique, Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), Assemblée générale des Nations unies, Sommet de l’Avenir, BRICS+, Conférence sur le climat.
Au sommet des BRICS, tenu en octobre 2024 à Kazan, la présidence de l’UA a plaidé pour des mécanismes de financement destinés à soutenir les infrastructures africaines. Elle a mis en avant une vision où l’Afrique ne se limite pas à recevoir des aides, mais s’affirme comme un partenaire à part entière.
En novembre 2024, lors du sommet arabo-islamique de Riyad, le président mauritanien a également appelé à une réponse coordonnée aux crises régionales, notamment en Palestine et au Liban. Plus largement, à travers ces interventions, la Mauritanie, au nom de l’UA, cherche à incarner une diplomatie africaine solidaire avec les pays musulmans et dissonante des positions occidentales.
Alors que l’admission de l’Union africaine au G20 avait été actée avant le début de son mandat, la présidence de l’UA a poursuivi ce travail en défendant des priorités stratégiques pour le continent, comme le développement numérique, la gestion des dettes et le renforcement des infrastructures sanitaires.
Des sujets particulièrement importants pour les ambitions de développement du continent africain. La position est délicate, car si l’Afrique est l’objet de grandes convoitises, elle représente seulement 4% du PIB mondial et peut être à peine pour faire entendre son discours auprès des principales puissances du globe.
Guy-Alexandre Le Roux