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L’Iniquité fiscale en Mauritanie : d’un introuvable droit à une économie à retrouver. Par Pr ELY Mustapha

Agora Vox — “Lorsque l’iniquité s’accroît, la charité du plus grand nombre se refroidit.” (Ngugi wa Thiong`o . Enfant, ne pleure pas. Roman . 1962)

La structure actuelle du budget mauritanien 2025 révèle des déséquilibres profonds qui entravent significativement le développement économique et social du pays.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’Indice de Développement Humain (IDH) de la Mauritanie stagne à 0,556 en 2024, la plaçant au 157ème rang mondial, avec 31% de la population vivant encore sous le seuil de pauvreté.

Cette réalité contrevient directement à l’Article 1er de la Constitution mauritanienne qui garantit l’égalité de tous les citoyens devant la loi, ainsi qu’aux obligations de l’État en vertu de la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement de 1986.

La théorie économique moderne, notamment les travaux de Joseph Stiglitz, souligne qu’une fiscalité déséquilibrée peut créer des distorsions permanentes dans l’allocation des ressources et compromettre la croissance à long terme.

Un équilibre optimal, comme le préconisent les partenaires financiers de la Mauritanie, entre fiscalité directe et indirecte pour garantir l’efficacité du recouvrement et l’équité sociale, doit être un objectif crucial dont la Mauritanie reste encore éloignée avec un ratio fiscalité directe/indirecte de 0,67, significativement inférieur à l’optimum théorique de 1,2.

Le système fiscal mauritanien actuel génère un effet de ralentissement notable sur la croissance économique. Cet impact est particulièrement visible dans l’indice de compétitivité mondiale où la Mauritanie occupe le 134ème rang sur 140 pays, avec un score particulièrement faible dans le domaine de l’efficacité du système fiscal.

Les droits fondamentaux en péril

Cette situation met en péril les droits fondamentaux garantis par l’Article 15 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples concernant le droit de travailler dans des conditions équitables. La surcharge fiscale sur les secteurs formels, illustrée par une TVA atteignant 20,71 milliards MRU, couplée à une sous-imposition des secteurs rentiers (revenus miniers limités à 2,86 milliards), crée ce que la Banque Africaine de Développement (BAD) avait qualifié en 2023 de « trappe de développement ».

Cette configuration décourage effectivement l’investissement productif tout en favorisant les activités spéculatives, pouvant entrainer une perte estimée de croissance de 2-3% du PIB potentiel.

L’accroissement des inégalités

L’accroissement des inégalités constitue une autre conséquence majeure de cette structure fiscale déséquilibrée. L’indice d’inégalité de genre place la Mauritanie au 151ème rang mondial, avec un taux d’activité des femmes de seulement 28,9% contre 63,1% pour les hommes, situation exacerbée par les distorsions fiscales.

Cette situation viole manifestement l’Article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) qui engage les États à garantir l’exercice des droits sans discrimination.

La pression fiscale disproportionnée sur les salariés (9,03 milliards MRU) contraste fortement avec la faible imposition des revenus du capital (1,25 milliards MRU). Le FMI, avait souligné que « cette asymétrie fiscale crée non seulement des distorsions économiques mais compromet également la cohésion sociale et la mobilité économique. » Cette observation est particulièrement pertinente dans le contexte mauritanien où l’indice de Gini fiscal atteint 0,45, reflétant une forte concentration de la charge fiscale.

La prédominance de la TVA (20,71 milliards MRU) illustre ce déséquilibre structurel. En 2024, l’OCDE diagnostiquait que « dans les économies africaines, une dépendance excessive à la TVA aggrave les inégalités sociales existantes ». Cette situation contrevient au droit à un niveau de vie suffisant garanti par l’Article 11 du PIDESC, dans un pays où l’indice de pauvreté multidimensionnelle révèle que 41% de la population souffre de privations multiples.

Cette réalité se manifeste en Mauritanie par une élasticité-prix de la demande de -0,8 pour les biens essentiels, indiquant une forte vulnérabilité des ménages pauvres aux variations de prix. Les droits de douane élevés (11,14 milliards MRU) accentuent ce que la Banque Mondiale appelle la « double pression sur la consommation des ménages ».

Une vulnérabilité majeure

La dépendance aux industries extractives constitue d’autre part une vulnérabilité majeure. Avec un indice de diversification économique de 0,32 (où 1 représente une économie parfaitement diversifiée), la Mauritanie reste excessivement dépendante du secteur extractif.

Cette dépendance met en péril le principe constitutionnel de gestion durable des ressources naturelles et le droit des générations futures. La baisse de 9,21% des recettes minières en 2025, malgré une hausse de 25% des revenus pétroliers, illustre ce que le professeur Jeffrey Sachs de l’Université de Columbia, qualifiait de « malédiction des ressources ».

Si l’on considère que les élasticités des recettes à l’activité mesurent de combien varient les recettes lorsque l’activité connaît une évolution connue, l’élasticité des recettes budgétaires aux prix des matières premières (0,72), en Mauritanie confirme cette vulnérabilité aux chocs externes. L’indice de gouvernance des ressources naturelles (RGI) de la Mauritanie, établi à 39/100, témoigne des défis persistants dans la gestion des revenus extractifs.

Ce que confirma en 2023 la BAD en soulignant que « l’inefficacité du recouvrement des impôts directs résulte d’une combinaison de facteurs institutionnels », comme en témoigne le coefficient de Gini fiscal de 0,45.

Notons que le coefficient de Gini mesure le degré d’inégalité au sein d’un pays. Lorsque ce coefficient est égal à zéro, cela signifie que tous les ménages ont le même revenu ; lorsqu’il est égal à un, cela signifie qu’un ménage reçoit l’intégralité des revenus.

Une refonte du système des ressources

Pour remédier à ces déséquilibres, une refonte profonde du système des ressources s’impose. Cette refonte est d’ailleurs une obligation constitutionnelle découlant du devoir de l’État de garantir l’égalité devant la loi et la justice sociale.

La fiscalité directe nécessite un rééquilibrage substantiel, notamment à travers une révision de l’impôt sur les sociétés (actuellement 12,6 milliards MRU) et l’introduction d’une fiscalité patrimoniale adaptée. En 2023, la Banque Mondiale estimait qu’une telle réforme pourrait générer des recettes additionnelles représentant 3-4% du PIB tout en améliorant l’équité fiscale.

La modernisation du système fiscal

La modernisation du système fiscal constitue un autre axe crucial de réforme. Conformément à l’Article 2 de la Constitution qui impose une administration efficace et transparente, la digitalisation des procédures fiscales, le renforcement des contrôles et la simplification administrative apparaissent comme des leviers essentiels.

L’année dernière, en 2024, l’OCDE notait effectivement que « les pays ayant réussi leur transition fiscale ont tous mis en œuvre une modernisation intégrée de leur administration fiscale. » L’expérience comparative montre qu’une telle modernisation peut accroître les recettes de 15-20% sur une période de trois ans. L’optimisation des charges budgétaires

L’optimisation des charges budgétaires représente le complément indispensable à la réforme des ressources. Cette optimisation doit s’aligner sur les obligations de l’État en matière de droits économiques et sociaux fondamentaux, notamment les Articles 12 et 13 du PIDESC sur le droit à la santé et à l’éducation.

Un accent particulier doit être mis sur les dépenses de développement, notamment les investissements dans les infrastructures économiques et le soutien aux secteurs prioritaires. Parallèlement, le renforcement des dépenses sociales, à travers des mécanismes de compensation ciblés et un investissement accru dans l’éducation et la santé, apparaît crucial pour atténuer l’impact des réformes fiscales sur les populations vulnérables.

En définitive, la réussite du développement mauritanien passe par une refonte profonde de sa structure fiscale, combinant équité, efficience et modernisation. Cette transformation apparaît d’autant plus urgente que l’indice de développement durable de la Mauritanie (51,2/100) souligne la fragilité du modèle de développement actuel.

Cette transformation nécessite une approche holistique, intégrant réformes fiscales, modernisation administrative et renforcement des politiques sociales, le tout soutenu par une volonté politique forte et un engagement durable des partenaires au développement. Cette transformation s’impose non seulement comme une nécessité économique mais aussi comme une obligation juridique découlant de la Constitution mauritanienne et des conventions internationales relatives aux droits de l’homme ratifiées par la Mauritanie.

Pr ELY Mustapha

BAD (2023). « Développement Économique en Afrique »

FMI (2019). « Réforme Fiscale et Développement »

OCDE (2024). « Taxation et Croissance »

Banque Mondiale (2023). « Equity and Development »

Stiglitz, J. (2020). « Development Economics »

Constitution mauritanienne (Articles 1 et 2)

PIDESC (Articles 2, 11, 12 et 13)

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Article 15)

Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement

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