Enseignement supérieur en Mauritanie : Les défis structurels et perspectives budgétaires dans le cadre de la Loi de Finances 2025
L’enseignement supérieur est au cœur des réformes engagées par le gouvernement mauritanien. La loi de finances pour 2025 reflète cette orientation par la consolidation des investissements dans les infrastructures, la recherche et les conditions de formation.
Ces efforts sont essentiels face aux défis que représente la massification de l’université, notamment le manque d’enseignants permanents, l’insuffisance des ressources humaines qualifiées et la faible adéquation entre les programmes de formation et les besoins réels du marché du travail.
Sans une stratégie de gestion adaptée des ressources humaines et financières, l’université risque de produire des diplômés peu préparés à répondre aux exigences de l’économie nationale.
Investissements prévus dans les infrastructures et le fonctionnement
La loi de finances 2025 consacre des ressources significatives au développement des infrastructures universitaires. Une enveloppe de 50,12 millions MRU est allouée à l’équipement des laboratoires de recherche et d’enseignement supérieur.
Cet investissement traduit la volonté de renforcer les capacités techniques des institutions, en finançant divers besoins essentiels : l’achat d’ouvrages spécialisés, les abonnements à des revues scientifiques, l’acquisition de matériel informatique, ainsi que le soutien aux déplacements pour des séjours de recherche à l’étranger. Par ailleurs, 2 millions MRU sont destinés à la réhabilitation des bâtiments de l’École Normale Supérieure (ENS), afin d’améliorer durablement les conditions matérielles d’apprentissage pour les étudiants et les chercheurs. Ces mesures visent à moderniser le système éducatif, en favorisant l’excellence académique et la production scientifique.
En termes de fonctionnement, l’Institut Supérieur d’Enseignement Technologique (ISET) bénéficiera d’un budget de 82,7 millions MRU, incluant 45,47 millions MRU pour couvrir les charges du service public (comme quoi). De plus, 92 millions MRU sont alloués pour soutenir les services de transport étudiant, un effort destiné à améliorer l’accessibilité aux études pour les jeunes issus de régions éloignées.
Cependant, ces investissements matériels doivent s’accompagner d’une gestion plus efficiente des ressources humaines pour répondre aux défis fondamentaux du système éducatif.
Le problème structurel des ressources humaines : vers une gestion réorganisée
L’un des principaux problèmes auxquels fait face l’université mauritanienne est l’insuffisance de professeurs permanents. Actuellement, une grande partie de l’enseignement repose sur des enseignants vacataires, qui représentent parfois plus de 60 % du corps enseignant selon Université de Nouakchott.
Ce modèle, bien que flexible, fragilise la continuité pédagogique et la qualité des enseignements, en particulier dans des filières essentielles comme la gestion et l’économie. La dépendance aux vacataires entraîne une instabilité des programmes, un manque de suivi des étudiants et limite les activités de recherche.
Pour remédier au manque de professeurs, il est crucial de renforcer le recrutement d’enseignants permanents. Toutefois, se restreindre exclusivement aux profils doctorants reste une contrainte, compte tenu du faible nombre de titulaires de doctorat disponibles sur le marché, notamment dans des disciplines clés. Une solution efficace serait de s’inspirer des pratiques adoptées dans certains pays voisins en misant sur la formation des formateurs à moyen terme.
Cette approche consisterait à intégrer des enseignants en cours de qualification dans des postes permanents, tout en leur offrant des programmes de spécialisation académique et de développement professionnel.
Ces programmes pourraient inclure une formation intensive de trois mois axée sur l’innovation pédagogique, la méthodologie d’enseignement, et la gestion des amphithéâtres. Une telle initiative permettrait non seulement de stabiliser le corps professoral, mais aussi de réduire considérablement les coûts liés à la vacation, qui représentent une charge budgétaire importante.
Par ailleurs, il serait pertinent de mettre en place un système de contrat de bourse doctorant- moniteur, avec attribution d’un salaire en contrepartie de quelques heures d’enseignement. Cette solution offrirait une double opportunité : renforcer les capacités de recherche et améliorer le classement futur des universités mauritaniennes sur le plan international, en formant une nouvelle génération d’experts et de chercheurs.
Ces réformes contribueraient à améliorer la qualité de l’enseignement, tout en répondant aux attentes économiques et académiques.
Par ailleurs, la réorganisation des ressources humaines est indispensable pour mieux absorber le flux croissant d’étudiants. L’université accueille chaque année un nombre colossal d’inscrits (chiffres et calculer le rapport avec les profs permanents), sans disposer des capacités administratives et académiques nécessaires pour leur offrir un parcours de qualité.
Ce déséquilibre conduit souvent à des diplômés qui ne répondent pas aux attentes du marché de l’emploi ni aux objectifs de développement définis par l’État. En d’autres termes, l’investissement consenti dans l’enseignement supérieur risque de ne produire que des résultats limités en l’absence de réformes structurelles touchant principalement les enseignants universitaires.
L’importance de la formation technique dans la stratégie globale
Bien que l’enseignement supérieur général est encore plus attractif, la formation technique doit être mise en avant pour répondre aux besoins spécifiques du marché. L’économie mauritanienne, portée par les secteurs minier, gazier et industriel, requiert des techniciens spécialisés capables de s’adapter rapidement aux exigences opérationnelles. Cette demande n’est pas suffisamment couverte par le système universitaire traditionnel.
Afin de rééquilibrer les filières d’enseignement et mieux répondre aux besoins du marché du travail, le gouvernement pourrait encourager les jeunes à s’orienter vers des formations techniques grâce à des politiques incitatives. L’une des stratégies efficaces serait de mettre en place un système d’alternance, à l’image de ce qui se fait dans d’autres pays. Cette approche permettrait de combiner théorie et pratique : les étudiants pourraient suivre des cours le matin, puis intégrer des entreprises l’après-midi pour acquérir une expérience professionnelle concrète.
En parallèle, des mesures visant à améliorer les conditions salariales dans les métiers techniques contribueraient à revaloriser ces filières. La création de programmes de formation ciblés, en partenariat avec le secteur privé, garantirait une meilleure adéquation entre les compétences enseignées et les exigences du marché. De plus, des campagnes de sensibilisation et de communication seraient nécessaires pour changer la perception négative souvent associée à ces parcours, en montrant les débouchés et les opportunités de carrière qu’ils offrent.
La mise en œuvre d’une telle stratégie permettrait de réduire le chômage des jeunes en formant une main-d’œuvre immédiatement opérationnelle et adaptée aux secteurs clés de l’économie, tout en renforçant la compétitivité globale du pays.
Défis et perspectives pour l’avenir de l’éducation
L’objectif de la loi de finances 2025 revêt une grande importance et offre des perspectives prometteuses pour le secteur de l’enseignement supérieur. Les investissements prévus devraient permettre d’améliorer la qualité de l’éducation en augmentant la capacité d’accueil des établissements, en modernisant les infrastructures et en renforçant les dispositifs de soutien aux étudiants.
Toutefois, pour réussir cette transformation, il est impératif d’adopter une approche globale et cohérente, incluant une gestion efficiente des ressources humaines. Cela implique notamment la formation continue des formateurs, le recours à des contrats de doctorant-moniteur pour associer enseignement et recherche, ainsi que la diversification des filières de formation.
Il est également essentiel de valoriser l’enseignement technique et de promouvoir des systèmes d’alternance, qui permettent de combiner théorie et pratique. Ces initiatives doivent être soutenues par des partenariats entre les institutions universitaires, le gouvernement et le secteur privé.
Par ailleurs, une planification rigoureuse des besoins en compétences, tenant compte des évolutions économiques et sectorielles, faciliterait une meilleure adéquation entre l’offre éducative et les opportunités d’emploi.
Enfin, l’amélioration de la gouvernance universitaire, avec des mécanismes de suivi, d’évaluation et de transparence, est indispensable pour garantir la durabilité et l’efficacité des réformes engagées. Ces efforts permettront de faire du système éducatif un véritable levier de développement pour la Mauritanie.
El Hafedh EL HADJ MOKHTAR
Enseignant-chercheur à l’Université de Nouakchott, Faculté de sciences juridiques et économiques
Consultant en Gestion