NIOFAR : un lanceur d’alerte, dans un pays à conscience inerte

Lorsque le Sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt »
N’en déplaise à tous ceux qui depuis quelques jours dissertent sur l’absence de corruption en Mauritanie, ou sur les mesures prises pour lutter contre, ou encore sur la bonne foi des décideurs et par la même occasion cherchent à discréditer les dénonciations des sociétés qui quittent la Mauritanie à cause de cette gangrène, le constat reste accablant : la Mauritanie est bien un pays où la corruption a atteint des sommets inimaginables.
Ni un nationalisme primaire, ni un patriotisme de circonstance, ni un appel du ventre de conserver un emploi aussi éphémère que la politique qu’il sert, ne doivent servir à nier les réalités de la misère corruptive en Mauritanie. Ce serait un déni de conscience, qui, face aux dérives de son pays, justifierait l’injustifiable.
Ce serait là, tout au contraire, mal servir son pays, particulièrement dans un emploi public, puisque l’essence première de toute administration publique est de servir le citoyen et non de l’induire en erreur.
Mais, me diriez-vous, pourquoi face à une société qui dénonce le crime, et qui se présente en lanceur d’alerte, cette montée de logorrhée semi-patriotique semi-intéressée, à son égard ?
Pourquoi au contraire, les autorités n’ont-elles pas invité ladite société à présenter ses griefs et ses preuves, à diligenter des enquêtes pour saisir les responsables, les traduire en justice et assainir les rouages d’une économie qu’ils gangrènent.
Pourquoi ? Diriez-vous encore.
Simplement parce que, comme le dit l’adage : « Lorsque le Sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt ».
Mais croyez-vous vraiment que l’idiot en Mauritanie, aussi idiot soit-il, ne voit pas la lune ?
Mais il préfère regarder le doigt, car cela est plus sécurisant, pour lui, pour son emploi, pour ses intérêts que le soi-disant patriotisme qui n’emportera que chômage et misère.
Faut-il en vouloir lui en vouloir dans une administration publique tribalisée , clanisée ; dans un secteur public et privé dominé par une oligarchie commerçante tribalo-militaro-mercantile, verrouillant tous les secteurs de l’Economie, empêchant, par la dissuasion et la corruption, tout autre acteur économique ( et plus encore étranger ) d’y investir à moins de se soumettre à son diktat, à ses méthodes et aux pratiques d’une administration corrompue qu’elle nourrit à travers les marché publics véreux qu’elle obtient contre récompense sonnante et trébuchante , et les projets faramineux et inutiles qu’elle initie et qu’elle s’octroie à coups de dessous de tables et d’influence haut placée.
Fallait-il donc qu’une société, telle NIOCAR, puisse dire ce que chaque citoyen sait et que chaque haut responsable couvre, pour que la gangrène soit encore mise en actualité ?
Je défie quiconque des responsables mauritaniens d’apporter la preuve contraire de ce qui est, ici, avancé, non pas que l’on détienne la vérité, mais parce tout se sait et parce que la situation catastrophique de la corruption en Mauritanie est dénoncée jusque par les instances internationales et par les organisations de lutte contre la corruption et pour la transparence dans la gestion des ressources et des biens publics Et cela depuis des dizaines d’années.
Alors ?
Alors soyons convaincus que le fort message d’une société qui, hélas ! a décidé de quitter notre pays, et certainement celui de dizaines de sociétés qui sont parties en silence, en emportant avec elles des opportunités d’investissement, de croissance et d’emploi, doit parler à tout responsable et à sa conscience.
Mais que vaut un lanceur d’alerte dans un pays où toute conscience est inerte. Prise en otage par tout un système économique et financier de corruption verrouillé ?
La corruption en Mauritanie est un problème structurel qui affecte tous les secteurs de l’économie et de la gouvernance publique.
Les données issues de rapports internationaux et d’enquêtes locales, démontrent que ce phénomène est profondément enraciné, compromettant la transparence, la compétitivité et l’attractivité du pays pour les investisseurs.
Les expériences vécues par des entreprises comme NIOFAR illustrent cette réalité, confirmant que la directrice de cette société a raison de dénoncer un environnement hostile aux affaires.
Une perception internationale accablante
La Mauritanie est classée 130ᵉ sur 180 pays avec un score de 30/100 dans l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2024 publié par Transparency International. Ce score reflète une corruption systémique dans le secteur public.
Par ailleurs, 77 % des citoyens mauritaniens considèrent que la corruption est omniprésente dans les institutions étatiques (Arab Barometer 2023). Ces chiffres soulignent une crise de confiance généralisée entre les citoyens et leurs dirigeants.
Le rapport de GAN Integrity (2020) qualifie la corruption en Mauritanie de « risque très élevé », affectant tous les secteurs économiques, notamment les marchés publics, l’administration fiscale et le système judiciaire. Les lois anti-corruption existent mais sont rarement appliquées, ce qui permet aux fonctionnaires corrompus d’agir en toute impunité.
Dysfonctionnements institutionnels : des exemples concrets
Le secteur judiciaire
Le système judiciaire mauritanien est perçu comme inefficace et corrompu. Environ 40 % des entreprises dénoncent un manque d’indépendance des tribunaux, où les pots-de-vin influencent fréquemment les décisions judiciaires. En 2013, des investisseurs chinois ont été arrêtés pour tentative de corruption envers le directeur général des impôts, mais aucune sanction significative n’a suivi.
L’administration publique
Les entreprises opérant en Mauritanie consacrent en moyenne 734 heures/an aux procédures fiscales, soit deux fois plus que la moyenne régionale. Ces lourdeurs administratives sont aggravées par des pratiques corruptives qui augmentent considérablement les coûts d’exploitation pour les entreprises. La faillite de la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM) en 2024, due à des détournements massifs, illustre l’ampleur du problème au sein même des institutions économiques stratégiques du pays.
Impact économique : un coût colossal
La corruption a un impact direct sur l’économie mauritanienne :
Entre 2010 et 2014, environ 17,24 milliards USD ont été détournés selon Sherpa. Dans le secteur de la pêche, où 48 % des contrats seraient entachés de corruption, environ 45 000 emplois directs sont menacés.
La Banque Mondiale souligne que 36 % des entreprises considèrent la corruption comme le principal obstacle à leurs activités dans le pays.
Ces chiffres montrent que la corruption agit comme une taxe invisible qui freine la croissance économique et décourage les investisseurs étrangers.
Corruption fiscale : un manque à gagner massif
Le secteur fiscal est particulièrement touché : Le FMI (2023) estime que l’écart entre le potentiel fiscal théorique (24,2 % du PIB) et les recettes réelles (14,1 %) représente une perte annuelle d’environ 3,4 milliards USD.
Des exemptions fiscales opaques dans les secteurs minier et pétrolier génèrent des pertes fiscales équivalentes à 2,1 % du PIB annuel.
L’affaire Mohamed Abdellahi Ould Yaha (Pandora Papers), impliquant des fonds dissimulés dans des paradis fiscaux comme Gibraltar et Gran Canaria, illustre comment ces pratiques privent l’État de ressources essentielles.
Montrant ainsi que les progrès réalisés dans la gouvernance fiscale sont une chimère
Corruption commerciale : marchés publics et douanes
La corruption commerciale affecte gravement les marchés publics et les échanges transfrontaliers : Environ 40 % des entreprises déclarent devoir verser des pots-de-vin pour obtenir des contrats publics.
Aux postes douaniers, 35 % des importateurs subissent des paiements informels pour accélérer leurs transactions.
L’affaire Smith & Ouzman (2016), où une entreprise britannique a versé environ 543 000 USD pour obtenir un marché public en Mauritanie, illustre l’ampleur du problème.
Ces pratiques augmentent considérablement le coût des affaires en Mauritanie et dissuadent les investisseurs étrangers.
Clanisme, oligarchie commerciale et monopoles militaro-tribaux : des obstacles structurels à l’investissement en Mauritanie
La concentration du pouvoir économique entre les mains de réseaux claniques, tribaux et militaires en Mauritanie constitue un frein majeur à la diversification économique et à l’attractivité pour les investisseurs. Ce système, verrouillé par des décennies de pratiques prédatrices, perpétue une économie de rente au détriment d’une réelle concurrence.
Clanisme et mainmise sur les institutions financières
Le secteur bancaire mauritanien est dominé par des dynasties familiales étroitement liées au pouvoir politique. Par exemple, la Banque Nationale de Mauritanie (BNM), contrôlée par le groupe AON, illustre cette collusion entre élites économiques et politiques. Ce holding, héritier de l’ère Maaouiya Ould Taya, monopolise des secteurs clés (télécoms, BTP, agroalimentaire) grâce à des marchés attribués sans appel d’offres transparents.
La Banque Centrale de Mauritanie (BCM) elle-même a été impliquée dans des détournements massifs, notamment un prélèvement illégal de 55 millions € sur les comptes de l’État entre 2008 et 2011. Ces pratiques découragent les investisseurs étrangers, confrontés à un système financier opaque et clientéliste.
Oligarchie commerciale : des réseaux tribaux verrouillant l’économie
Les tribus Smassid et Awlad Besbaa contrôlent historiquement les circuits commerciaux, héritage d’un système diasporique structuré autour de « l’import-import ». Ces réseaux, comme le groupe MAOA ou BSA, captent les ressources stratégiques :
48 % des contrats de pêche sont attribués à des sociétés étrangères via des complicités étatiques, souvent liées à des figures comme Mohamed Abdellahi Ould Yaha (Pandora Papers).
Dans le secteur minier, 86 % des contrats sous l’ère Aziz bénéficiaient à son entourage direct, comme en témoigne l’affaire Kinross Gold (2016).
Cette mainmise génère des dépenses fiscales opaques (2,1 % du PIB annuel). Privant l’État de revenus essentiels tout en décourageant les PME, dont 40 % ferment avant 5 ans en raison des « frais informels ».
Monopoles militaro-tribaux : l’exemple du ciment et des télécoms
Le secteur du BTP est emblématique des distorsions créées par les monopoles :
Le prix du ciment a atteint 180 USD/tonne en Mauritanie contre 70 USD chez les voisins, en raison du contrôle par des groupes proches du pouvoir.
Les compagnies de télécoms, comme Mauritel (détenue par AON), siphonnent l’épargne des ménages via des pratiques abusives, sans réinvestissement dans l’économie réelle.
Ces monopoles sont protégés par des barrières réglementaires, comme des licences d’importation discrétionnaires, et des alliances avec des figures militaires. Le rapport Carnegie Endowment (2020) souligne que ces pratiques alimentent une «économie de transit » où les marchandises sont réexportées illégalement vers d’autres pays africains.
Impact sur l’investissement : un climat délétère
Insécurité juridique : Les investisseurs étrangers, comme NIOFAR, dénoncent des pressions pour des paiements informels et des audits fiscaux arbitraires
Concurrence faussée : Les entreprises locales indépendantes sont évincées des marchés publics, attribués à 40 % via des pots-de-vin.
Fuites de capitaux : 17,24 milliards USD ont été détournés entre 2010 et 2014, selon Sherpa, privant le pays de ressources pour les infrastructures.
Les responsables des administrations et agences chargées de l’investissement en Mauritanie, pour ne pas les nommer, affirment que le pays progresse dans ses réformes institutionnelles. Cependant, ces déclarations ne tiennent pas compte du fait que seuls 23 % des cas de corruption font l’objet de poursuites, selon le FMI (2023). De plus, malgré la création d’une Autorité Nationale Anti-Corruption en 2025, son efficacité reste limitée par un manque d’indépendance et de moyens.
Les affirmations sur les « progrès de la gouvernance » sont contredites par la réalité : 77 % des pots-de-vin ne font jamais l’objet de plainte par crainte de représailles, et seulement 23 % des cas de corruption sont poursuivis. Sans une rupture avec ce modèle clanique et militaro-tribal, la Mauritanie restera une économie de prédation, incapable d’attirer des investissements durables.
Par ailleurs, certains responsables soutiennent que les investisseurs doivent utiliser les canaux légaux pour signaler les abus. Or, comme le montrent les expériences vécues par NIOFAR et d’autres entreprises étrangères, ces canaux sont eux-mêmes compromis par un système corrompu où règne l’impunité. Les entreprises font face à des pressions informelles pour financer illégalement certains projets ou éviter des audits fiscaux injustifiés.
Une réforme urgente nécessaire
Les preuves accumulées montrent que la corruption en Mauritanie n’est pas une simple perception mais une réalité systémique qui freine le développement économique et social du pays. Les discours optimistes avancés par les responsables ne résistent pas aux faits documentés : sans réformes profondes pour renforcer la transparence et responsabiliser les institutions publiques, il sera impossible d’attirer durablement les investissements étrangers ou d’améliorer le bien-être des citoyens mauritaniens.
L’expérience de NIOFAR illustre parfaitement cette réalité : loin d’être un cas isolé ou imputable à une mauvaise gestion interne, elle reflète un environnement économique hostile marqué par une corruption omniprésente. Il est urgent que le gouvernement mauritanien prenne des mesures concrètes pour briser ce cercle vicieux qui mine non seulement son économie mais aussi sa crédibilité internationale.
Combien d’entreprises, en douce ou en urgence ont quitté la Mauritanie, et qui contrairement à NIOFAR n’ont pas dénoncé les misères qu’elles ont subies dans leurs vouloir d’investir en Mauritanie ?
NIOFAR a fait œuvre de lanceur d’alerte, et tout gouvernement et tout responsable aurait dû en tirer un motif d’honneur pour dénoncer et combattre la corruption qui gangrène la Mauritanie. Au lieu de cela, on s’évertue à nier, à tempérer sinon à charger le dénonciateur.
Il reste vrai que « lorsque le Sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt ».
Pr ELY Mustapha