Le succès du dialogue tient à la légitimité des parties prenantes/El Wely Sidi Heiba

La scène nationale demeure dominée par des forces conservatrices, héritières de logiques préétatiques fondées sur le tribalisme, le fractionnement social, et une culture de prédation masquée par la solidarité clanique et les réseaux d’influence.
Espérances citoyennes et défis structurels
Alors que l’urgence d’une refondation politique s’impose avec acuité, une large frange de la population nourrit de grands espoirs quant à l’organisation d’un dialogue national sérieux, inclusif et porteur de sens. Un tel dialogue, s’il est mené avec sincérité, pourrait constituer un tournant décisif dans la trajectoire du pays. Il ouvrirait la voie à des solutions structurelles et politiques innovantes, fondées sur la raison, la lucidité et la volonté partagée de construire un avenir commun.
Il ne s’agit plus de gérer les symptômes d’un mal chronique, mais bien d’en traiter les causes profondes. Cela exige une concertation nationale audacieuse dans sa forme, rigoureuse dans son fond. L’enjeu est de jeter les bases d’un nouveau contrat social fondé sur la justice, la crédibilité et la souveraineté populaire.
Qui mérite de siéger à la table du dialogue ?
Un appel au dialogue, libéré des logiques de confrontation, incarne une démarche responsable, civilisée et politiquement sage. C’est le chemin le plus sûr vers une stabilité durable, à condition qu’il repose sur une volonté authentique de réforme et une dynamique réellement inclusive. Loin d’être un simple outil de communication ou un mécanisme de temporisation, le dialogue national doit viser à rétablir la confiance entre institutions et citoyens.
Mais une vérité fondamentale s’impose : le succès d’un tel processus dépend directement de la nature des acteurs qui y participent. Un dialogue véritablement constructif ne peut émaner que de parties prenantes dotées de légitimité populaire, d’intégrité morale et de crédibilité politique. Il ne saurait accueillir des figures discréditées, ni des représentants issus de quotas clientélistes ou d’accords opportunistes.
Ce sont les élites authentiques — intellectuels, acteurs de terrain, citoyens engagés — qui doivent impulser ce renouveau. Des femmes et des hommes porteurs d’une vision éthique et nationale, enracinés dans les réalités sociales, capables de conjuguer gestion vertueuse des ressources, gouvernance efficace et ambition collective.
L’impératif d’une vision commune
Le dialogue perd toute légitimité s’il est perçu comme une plateforme de recyclage politique ou d’arrangements entre acteurs discrédités. Un processus aussi crucial ne peut reposer sur des compromis partisans, ni sur des calculs de court terme. Il doit s’ancrer dans une vision partagée, portée par l’intérêt supérieur de la nation et fondée sur la justice, la transparence et la responsabilité.
Pourquoi l’échec persiste-t-il ? Une question de fond
Malgré les multiples appels à la réforme, le pays reste prisonnier de déséquilibres structurels profonds. Il peine à remplir les critères fondamentaux d’un État moderne de droit, d’institutions démocratiques, de gouvernance vertueuse, d’administration compétente et de développement durable.
Cette impasse s’explique par une réalité politique douloureuse mais incontournable : la scène nationale demeure dominée par des forces conservatrices, héritières de logiques préétatiques fondées sur le tribalisme, le fractionnement social, et une culture de prédation masquée par la solidarité clanique et les réseaux d’influence.
Tant que ces logiques continueront à structurer l’accès au pouvoir, toute tentative de réforme restera vaine.
Le recyclage des figures politiques : une menace silencieuse
L’un des signes les plus inquiétants de cette reproduction de l’échec est le recyclage permanent d’acteurs politiques ayant fait preuve de leur inefficacité, voire de leur nocivité. Trois profils se distinguent :
1. Les pionniers retraités
Ils ont contribué à la construction de l’État civil à ses débuts. Leur expérience est réelle, mais leur retour en scène, loin d’apporter du renouveau, risque de figer le débat et de réactiver des logiques dépassées.
2. Les repliés
Autrefois prometteurs, ils ont perdu en clarté et en audace. Leur proximité avec les cercles du pouvoir a érodé leur crédibilité. Leur trajectoire traduit un éloignement progressif des préoccupations citoyennes.
3. Les opportunistes
Serviteurs dévoués des anciens régimes, ils ont constamment changé de discours au gré des vents politiques. Leur parcours est marqué par l’enrichissement personnel, la captation des ressources publiques, et une capacité opportuniste à se réinventer sans jamais se remettre en question.
L’implication de ces profils dans le dialogue national serait désastreuse : elle validerait l’idée selon laquelle les mêmes causes produisent inévitablement les mêmes effets.
Retrouver le sens de l’engagement public
L’implication de figures discréditées dans le dialogue minerait davantage une confiance citoyenne déjà largement érodée. Ce que le peuple réclame, ce ne sont ni des conciliabules entre élites fatiguées, ni des compromis opaques entre clans rivaux, mais un débat d’idées sincère, un exercice de vérité, une refondation du contrat social fondée sur des valeurs claires : compétence, probité, et engagement collectif.
S’il doit y avoir dialogue — et il le faut —, il doit être sincère, enraciné dans les réalités sociales, porteur de rupture et capable d’ouvrir de nouvelles perspectives. Tout autre scénario ne serait qu’un simulacre de réforme, une énième mise en scène politique vouée à reproduire les échecs du passé.