DW – Corruption, impunité et déliquescence de l’Etat sont présents dans ces deux pays qui représentent chacun une étape importante sur la route de la drogue.
Ce n’est pas un hasard : l’importante reprise du trafic de cocaïne en Afrique de l’Ouest constatée depuis 2019 a été marquée par plusieurs saisies record réalisées en Guinée Bissau depuis cette date. Ce petit pays est en effet utilisé depuis deux décennies comme une porte d’entrée par les trafiquants sud-américains.
« La Guinée-Bissau a perdu le contrôle de son territoire”, déclarait déjà en 2007 l’ancien directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime(UNODC), Antonio Maria Costa.
Est-ce que le trait était exagéré ? Pour répondre à cette question, il faut de nouveau se plonger quelques années en arrière.
En septembre 2006, une cargaison de près de 700 kilos de cocaïne est saisie par la police bissau-guinéenne tuyautée par Interpol. La drogue était transportée dans un véhicule de l’armée. Alertée, la hiérarchie militaire a fait récupérer la cocaïne dans les locaux de la police avant de la mettre en sécurité dans un coffre du ministère des Finances.
Par la suite, la drogue a disparu et deux Colombiens arrêtés ont été relâchés par la justice.
C’est cette impunité qui a très tôt attiré les trafiquants de drogues. Et cette impunité bien sûr a un prix.
Financement de campagne par les narco dollars
La Commission ouest-africaine sur les drogues (WACD) affirme, dans une étude publiée en 2014, que des trafiquants de drogues colombiens ont financé en 2005 la campagne de réélection de l’ancien président bissau-guinéen Joao Bernardo Vieira.
Lorsqu’en 2012, les militaires font un coup d’Etat c’est d’abord pour mettre la main sur le trafic de cocaïne. « Le trafic de drogues est devenu la principale activité économique de l’élite militaire du pays”, poursuit le rapport de la WACD.
En 2010, le chef d’Etat-major de l’armée de l’air, le général Ibraima Papa Camará, et le chef de la marine, l’amiral José Americo Bubo Na Tchuto, sont placés sur la liste des barons de la drogue établie par le Trésor américain.
Bubo Na Tchuto est arrêté en 2013 au large du Cap-Vert avant d’être extradé et jugé aux Etats-Unis. Condamné à une peine clémente de quatre ans pour avoir accepté de collaborer, il est de retour en Guinée-Bissau où il ferait désormais profil bas.
Pourtant ce n’est pas lui qui aurait été visé par cette opération conduite par l’armée américaine mais le général Antonio Indjai, l’auteur du « coup d’Etat de la cocaïne” de 2012.
Or, c’est ce même Antonio Indjai qui a offert son soutien à Umaro Sissoco Embaló, l’actuel président élu en février 2020, lui-même ancien général de brigade.
Une photo prise juste après la victoire de Umaro Sissoco Embaló le montre entouré d’un groupe de militaires parmi lesquels se trouvent Antonio Indjai et Ibraima Papa Camará
Le sud-africain Mark Shaw, directeur de « Global initiative against transnational organized crime” et auteur d’un récent rapport sur la Guinée-Bissau, souligne ainsi « le parallèle entre le coup d’Etat de 2012 et la prise de pouvoir en 2020 par un candidat qui avait clairement le soutien de l’armée”. Retour de l’impunité
Deux nouvelles affaires semblent montrer que la Guinée Bissau, après une baisse des saisies entre 2014 et 2018, est de retour aux affaires.
En mars 2019, près de 800 kilos de cocaïne sont saisis à Safim, à une quinzaine de kilomètres de Bissau sur la route du Sénégal. La drogue était dissimulée dans un camion sénégalais qui devait se rendre en Mauritanie puis au Mali.
Cette affaire est intéressante car elle implique une figure proche des groupes djihadistes : le trafiquant malien Mohamed Ben Ahmed Mari, alias Mohamed Rouggy, que nous retrouverons plus tard.
Enfin, toujours en 2019, au mois de septembre, est réalisée la plus importante saisie de l’histoire du pays : 1,8 tonne de cocaïne dissimulée dans des sacs de riz. La drogue est découverte dans l’entrepôt d’un homme d’affaires, Braima Seidi Bá, présenté comme un proche du général Antonio Indjai.
Le verdict rendu en première instance en mars 2020 l’avait condamné lui et son complice mexicain à 16 ans de prison. Mais sept mois plus tard, la Cour d’appel a réduit de moitié les peines.
En pleine pandémie de la Covid-19 l’information était passée inaperçue mais désormais le risque est réel que la Guinée-Bissau renoue avec ses vieux démons.
Interrogée sur l’attitude du nouveau pouvoir en Guinée-Bissau, l’UNODC refuse pour l’instant de se prononcer : « Vous me demandez de faire une analyse politique, je ne vais pas le faire (…) J’aimerais d’abord avoir l’opportunité de me déplacer en Guinée-Bissau », répond Amado Philip de Andrés, le nouveau directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale de l’UNODC.
Tribus touaregs et arabes
Le Mali, en proie à une crise politique avec deux coups d’Etat militaires en neuf mois, voit une partie de son territoire échapper à son contrôle en raison de l’activité des groupes djihadistes.
Les trafiquants de drogues profitent bien entendu de ce vide.
Selon le rapport 2020 du Groupe d’expert des Nations unies sur le Mali, le « flux de stupéfiants le plus régulier à travers le Mali” reste celui du haschich marocain qui transite par la Mauritanie et le Mali puis prend la route de la Libye en traversant le Niger.
Mais le transport de cocaïne qui converge aussi au Mali emprunte les mêmes routes quand ce n’est pas les mêmes camions.
Les points de passage sont alors la cause d’affrontements entre bandes armées qui souhaitent en avoir le contrôle.
C’est le cas de Lerneb, proche de la frontière avec la Mauritanie, ou d’Aguelhok, non loin de la frontière algérienne, contrôlé par Ahmoudou Ag Asriw. Ce trafiquant de drogues placé sur la liste des sanctions des Nations unies organise des convois avec la CMA et le MAA-Plateforme, deux alliances militaires rebelles actives dans le nord du Mali.
Djihadistes et trafic de drogues
Enfin, on retrouve un autre trafiquant déjà mentionné : Mohamed Ben Ahmed Mahri qui serait impliqué dans le transport de dix tonnes de haschich saisies entre avril et juin 2018 au Mali.
« Mohamed Ben Ahmed Mahri utilise les revenus tirés du trafic de stupéfiants pour soutenir des groupes terroristes armés, notamment Al-Mourabitoune », ajoutent les experts des Nations unies.
Ce dernier point est essentiel car, même si Al-Mourabitoune s’est depuis scindé en deux mouvances qui ont fait allégeance à l’Etat islamique d’un côté et Al-Qaïda de l’autre, il établit un lien entre les groupes djihadistes et le trafic de stupéfiants.
En février 2012, le Conseil de Sécurité a mis en garde contre les menaces dans la région du Sahel en raison du « terrorisme qui entretient dans certains cas des liens de plus en plus étroits avec (…) le trafic de drogues.”
Toutefois, la Commission ouest-africaine sur les drogues estime qu’il peut « s’avérer dangereux d’exagérer la menace du narco-terrorisme ».
La WACD ne conteste pas l’implication de groupes comme Aqmi, Al-Mourabitoune, Ansar Dine ou le Mujao dans le trafic de stupéfiants. Mais elle rappelle que de nombreux autres acteurs sont impliqués comme « des membres de la classe politique et des milieux d’affaires du nord du Mali (…) ainsi que des chefs de groupes armés dits séculiers.”
Une manière d’affirmer que le trafic de drogues dans cette région repose avant tout sur la corruption et des complicités au sommet de l’Etat.
« La question du lien entre groupes djihadistes et trafic de drogues est très importante », ajoute Amado Philip de Andrés de l’UNODC. « On commence à voir une intersection entre la présence des groupes djihadistes et celles des réseaux de la criminalité transnationale dans le Sahel. Maintenant il faut voir comment les groupes djihadistes se financent. C’est le seul moyen pour identifier la connexion avec les réseaux de trafic de drogues. »
Auteur Jean-Michel Bos
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