Le nouvel accord UE-Mauritanie : vers une gestion durable des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest ?
CAPE CFFA – La Commission européenne a conclu fin juillet 2021 les négociations pour un nouvel accord de partenariat de pêche durable (APPD) avec la Mauritanie d’une durée de 6 ans, tacitement renouvelable.
Le même jour, le protocole de ce nouvel accord était signé. Celui-ci est entré en application provisoire le 16 novembre 2021. Pendant ce temps, les textes sont en discussion au Parlement Européen, qui doit donner, ou pas, son approbation. Fin octobre, la Commission de la Pêche du Parlement s’est penchée une première fois sur l’accord et son protocole.
Plusieurs députés se sont inquiétés des dégâts sociaux et environnementaux de la surexploitation des petits pélagiques, en particulier la transformation des sardinelles en farine et de l’huile de poisson.
Ces stocks sont en effet stratégiques, non seulement pour les mauritaniens, mais aussi pour la sécurité alimentaire de toute la région ouest-africaine. La gestion durable de ces ressources et leur utilisation pour la sécurité alimentaire doit donc être au cœur de l’APPD UE-Mauritanie. Est-ce bien le cas ?
1. Des ressources partagées sans concertation ont mené à la surexploitation
Les petits pélagiques qu’on trouve en Afrique de l’Ouest rassemblent des poissons comme la sardine, la sardinelle ronde et plate, l’ethmalose, l’anchois, le maquereau et le chinchard. Les sardinelles en particulier sont traditionnellement consommées par les populations de la région, et sont pour elles une source, à prix abordable, de protéines animales, de micro nutriments et d’acides gras.
Les petits pélagiques se déplacent entre les Zones économiques exclusives (ZEE) de plusieurs Etats de la région ouest africaine : Maroc, Mauritanie, Sénégal, Gambie, Guinée Bissau. Les données scientifiques disponibles montrent depuis des années une surexploitation de la sardinelle. L’absence d’une approche concertée entre les pays concernés pour la gestion et la conservation de ces ressources est donc une réelle menace pour la sécurité alimentaire régionale.
Alors qu’au Sénégal, la sardinelle est principalement exploitée par la pêche artisanale, en Mauritanie les petits pélagiques sont exploités tant par la pêche artisanale, que côtière et industrielle. Pour la pêche industrielle, il existe deux régimes d’exploitation distincts : les bateaux nationaux qui débarquent en Mauritanie, et les bateaux étrangers qui opèrent soit sous accord de pêche (comme avec l’UE) ou sous licences libres. Un rapport du PRCM note que, dans ce dernier cas, les volumes de captures ne sont pas limités, et les bateaux n’ont pas à débarquer leurs captures dans les ports mauritaniens, ce qui rend cette activité difficile à contrôler.
Les scientifiques confirment que depuis 2007, les sardinelles rondes et plates sont surexploitées. Les organisations de pêcheurs sénégalais sont du même avis. Ils ont alerté l’opinion en 2018 sur le fait que leurs captures de sardinelles avaient diminué de façon catastrophique depuis plusieurs années. Cette raréfaction a causé une augmentation du prix de ce « poisson du pauvre », ce qui a considérablement limité l’accès à ces poissons non seulement pour les femmes transformatrices, mais aussi pour les consommateurs de la région.
2. La farine de poisson, un phénomène aggravant
Plusieurs experts, les communautés de pêche artisanale et la société civile pointent du doigt le développement de l’industrie de la farine et de l’huile de poisson comme un facteur aggravant dans la surexploitation de ces espèces.
Depuis 2010, l’industrie de farine et de l’huile de poisson connaît un développement exponentiel en Mauritanie et, plus récemment, dans toute la région, alimenté par une demande globale accrue de ces produits pour l’élevage et surtout l’aquaculture intensive. L’aquaculture intensive d’espèces carnivores, comme le saumon ou les scampis, requiert de grandes quantités de farine et d’huile de poisson, produites à base de petits pélagiques et provenant de façon croissante d’Afrique de l’Ouest. Selon Greenpeace, les exportations de farine de poisson de Mauritanie ont augmenté de 16% en 2020.
Depuis 2016, les pirogues sénégalaises affrétées par des mauritaniens pour pêcher les petits pélagiques à destination des usines de farine ont été remplacées par des senneurs turcs. Le premier rapport de la Mauritanie dans le cadre de l’initiative Fisheries Industry Transparency Initiative (FiTI) – utilisant des données de 2018 – a aussi permis d’identifier plusieurs navires chinois ciblant les petits pélagiques pour produire la farine de poisson.
Les usines utilisent le plus souvent du poisson frais pour faire de la farine, poisson qui, sans cela, pourrait servir à la consommation humaine. Dans un article, Ad Corten, scientifique expert des pêcheries de petits pélagiques en Afrique de l’Ouest, expliquait que le gouvernement mauritanien a introduit en 2018 des mesures pour limiter la quantité de sardinelles transformées en farine et huile à 10.000 tonnes par usine. Cependant, des doutes subsistent sur l’efficacité de ces mesures, vu notamment l’absence d’un contrôle de la composition des espèces utilisées par les usines. Malgré des engagements de la Mauritanie à réduire progressivement la production de farine et d’huile de poisson, force est de constater qu’aujourd’hui la production de farine de poisson n’a fait qu’augmenter.
3. Que contient le nouvel APPD concernant les petits pélagiques ?
Si les espèces de petits pélagiques ciblées à travers l’accord restent les mêmes, – sardines, sardinelles, chinchard, maquereaux-, on trouve des changements au niveau des possibilités de pêche, et des redevances des armateurs. Le total admissible de captures, qui était auparavant de 300.000 tonnes, passe maintenant à 225.000 tonnes, bien que le nombre de navires autorisé en même temps reste de maximum 19 navires.
Cela reflète en partie le fait que, pêchant plus loin de la côte depuis le dernier accord, les flottes européennes ont moins accès aux ressources de petits pélagiques, en particulier les sardinelles. Les redevances des armateurs changent également : le prix était auparavant fixé à 123 euros la tonne quelle que soit l’espèce ; il varie maintenant en fonction de l’espèce pêchée, allant de 75 euros la tonne de sardines ou sardinelles, jusqu’à 140 euros par tonne de chinchard.
A) VENIR PÊCHER PLUS PRÈS DE LA CÔTE ? SEULEMENT SI LA GESTION EST DURABLE
Un changement important concerne le zonage pour la pêche des petits pélagiques par les chalutiers européens. En Avril 2020, la Mauritanie a modifié la zone de pêche des petits pélagiques, autorisant un rapprochement des flottes chalutières étrangères de 5 miles vers la côte, passant de 20 miles à 15 miles. Pour rappel, en 2012, c’était l’Union européenne qui avait insisté pour mettre cette limite à 20 miles, afin de protéger les stocks de sardinelle qu’on retrouve surtout dans la zone plus proche de la côte. Alors, le passage de 20 à 15 miles signifie-t-il que les sardinelles surexploitées devront de nouveau subir une pression plus forte de la part des chalutiers étrangers, comme ceux de l’Union Européenne ?
Ce qui est proposé dans le nouvel accord va plutôt dans le sens de la précaution. En effet, il est demandé que « au plus tard six mois à partir de la date d’application du protocole, la Mauritanie adopte un plan pour la gestion durable des petits pélagiques ». Ce plan devra être notifié à l’UE au plus tard un mois avant sa date de mise en œuvre. Avant que ce plan ne soit adopté, la précaution est de mise, et la flotte de chalutiers pélagiques de l’UE pourra pêcher uniquement au-delà des 20 miles, comme c’était le cas dans les protocoles précédents.
Déjà, lors du dernier Comité Scientifique Conjoint de l’APPD, en 2021, les scientifiques ont insisté sur l’importance d’une gestion durable, et appuyé des propositions visant à la réduction de la mortalité par pêche des sardinelles à l’intérieur de la zone des 15 miles, par la mise en place des mesures comme l’interdiction d’utiliser les deux espèces de sardinelles pour la farine de poisson, la réduction de la taille des engins de pêche des navires côtiers, – aujourd’hui, des senneurs turcs de 40 mètres sont considérés comme bateaux de pêche côtière-, l’instauration de quotas pour limiter les captures des différentes flottes.
Pour rappel, un plan d’aménagement de la pêcherie de sardinelles avait déjà été élaboré par la Mauritanie en 2013-2014, qui reposait sur la promotion d’une gestion concertée de la ressource au niveau sous-régional, et une gestion moins centralisée au niveau national, prenant appui sur des initiatives de cogestion et les organes de concertation locaux existants. Ce plan est resté lettre morte jusqu’à présent.
B) APPUI À LA RECHERCHE
Beaucoup avaient déploré que la recherche sur l’état des ressources de petits pélagiques n’avait pas reçu une grande attention dans l’accord et les protocoles précédents, mettant en avant par exemple le manque flagrant d’échantillonnages empêche une évaluation fiable de l’état de ces stocks. Aucune des sommes versées à travers l’appui sectoriel n’avait été utilisées pour la recherche, à l’exception de l’entretien du navire de recherche Al Awam. De plus, les armateurs lithuaniens et lettons faisant partie de la flotte européenne ont régulièrement refusé l’embarquement d’observateurs scientifiques, sans qu’aucune sanction soit prise à leur encontre.
Des améliorations sur ce point étaient donc fort attendues. Dans le nouvel accord, on remarque une attention accrue pour la recherche, y compris sur les petits pélagiques, avec des modalités plus précises pour l’embarquement d’observateurs scientifiques, les données à récolter, et pour l’échantillonnage des captures.
Le texte stipule que « [l]a présence de deux observateurs scientifiques mauritaniens est obligatoire à bord de tous les navires chalutiers pélagiques », car ils doivent aussi bien mesurer les poissons (sous le pont) que surveiller en même temps les captures accessoires (sur le pont). Le texte précise que « si une couverture complète de toutes les marées par des observateurs n’est pas réalisable, tous les chalutiers pélagiques sont tenus d’embarquer une équipe de deux observateurs scientifiques, au moins à toute demande de l’IMROP ».
Autre précision importante : « Si un chalutier refuse d’embarquer des observateurs scientifiques, il ne sera pas autorisé à quitter le port ». Cette mesure est bienvenue vu les manquements constatés précédemment au niveau des armateurs baltes. Cela rencontre en partie une demande de la pêche artisanale locale de « conditionner le renouvellement des licences de ces navires à l’embarquement d’un observateur ». Conditionner l’accès à la zone de pêche à l’embarquement obligatoire des observateurs est aussi en ligne avec les exigences en matière de collecte et de transmission de données prévues par le règlement de l’UE sur la collecte de données dans le secteur de la pêche (2017/1004).
En complément aux observations à bord, « des observations à terre seront également renforcées à travers des échantillonnages plus réguliers et plus nombreux ». C’est également une évolution à saluer. Dans le nouvel accord, il sera effectué un échantillonnage par mois et par site de débarquement. Le taux d’échantillonnage minimal fixé est d’un échantillon (minimum de 100 individus) pour 1 000 tonnes de captures, ce qui est la référence prônée par le COPACE. Cela exigera que l’échantillonnage des débarquements dans les usines de production de farine de poisson soit fortement augmenté, et que les captures des chalutiers pélagiques soient correctement échantillonnées par les observateurs en mer.
C) APPUI À LA CONSOMMATION LOCALE
Un dernier aspect qui reste inchangé et qui est important pour la sécurité alimentaire, c’est le fait que les armateurs continueront de débarquer 2% de leurs captures « pour la politique de distribution de poisson en faveur des populations nécessiteuses ». Les captures seront remises à la Société nationale de distribution de poisson de la Mauritanie. Cette mesure a été un grand succès dans l’accord précédent car elle a permis à la consommation locale de poisson de passer de 4 à 12 kg/personne/an en quelques années seulement.
Une nouveauté dans le texte d’accord proposé à l’approbation du Parlement, c’est que la sécurité alimentaire est également soutenue à travers l’appui sectoriel : l’axe 6 d’intervention de l’appui sectoriel sera destiné aux infrastructures pour la promotion de la consommation humaine de produits de la pêche.
4. Une organisation régionale de gestion est incontournable
Pour les différents acteurs concernés de l’Union européenne, rassemblés au sein du Conseil consultatif de Pêche lointaine (LDAC en anglais), une ORGP pour la gestion des petits pélagiques est indispensable dans la région d’Afrique de l’Ouest. Dans un avis rendu en mai 2021, le LDAC appelle l’UE à « soutenir les efforts de gestion régionale des ressources partagées en Afrique de l’Ouest, y compris par le biais de ses accords de partenariat pour une pêche durable avec les pays de la région, ainsi que, à plus long terme, la création d’une organisation régionale de gestion des pêches (ORGP) ».
Dans le contexte spécifique des négociations de l’APPD UE-Mauritanie, le LDAC suggérait les actions suivantes : augmenter considérablement l’échantillonnage des captures pélagiques ; mettre en œuvre les recommandations de la FAO pour une gestion durable de ces ressources (y compris la mise en place d’un plan de gestion) ; entamer des consultations avec le Sénégal voisin sur la gestion conjointe des sardinelles. Dans sa réponse à cet avis, la Commission européenne expliquait son approche, – qui est de considérer le COPACE comme l’outil qui devrait être en charge de la gestion des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest, et donnait aussi les grandes lignes de ce qu’on retrouve dans l’accord UE-Mauritanie proposé : prise en compte des recommandations des scientifiques, préparation par la Mauritanie d’un plan de gestion.
Sur la question des petits pélagiques, la proposition d’accord UE-Mauritanie actuellement en discussion au Parlement européen répond à une série de préoccupations des parlementaires comme de la société civile mauritanienne et européenne : adoption et mise en œuvre d’un plan de gestion pour la sardinelle, meilleur soutien à la recherche (observations en mer et à terre), appui à la contribution des petits pélagiques à la sécurité alimentaire.
Un élément important, pour aller vers une gestion concertée de ces ressources est d’encourager le rapprochement avec le Sénégal, ainsi qu’avec les différents pays concernés par les stocks des petits pélagiques dans la région. L’Union européenne a des accords de partenariat de pêche durable bilatéraux avec tous ces pays, et occupe donc une position privilégiée pour les encourager à prendre des mesures de conservation communes pour ces ressources stratégiques, en suivant les conseils du groupe de travail de la FAO, et au bénéfice des populations locales.