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Le projet de loi d’orientation a-t-il trahi l’esprit du rapport final des journées de concertations nationales ?

Depuis que le ministre de l’éducation a invité les partis d’opposition et les associations de promotion des langues nationales pour leur présenter son projet de loi d’orientation du système éducatif, nous avons constaté une série de sorties légitimes pour dénoncer cette mascarade tendant à faire avaler aux noirs mauritaniens une énième tentative d’assimilation linguistique et culturelle, un génocide culturel qui serait peut-être plus digeste que celui physique perpétré par Taya et ses sbires dans les années 89 à 92.

Ces sorties ont surtout dénoncé « l’incohérence entre le rapport des journées de concertations nationales sur le système éducatif et le projet de loi d’orientation concocté par les services du ministère ».

Y a-t-il vraiment incohérence entre les deux ? Je dis non. Car, en réalité, tout était planifié, savamment orchestré, et seuls ceux et celles qui n’ont pas voulu voir n’ont rien vu venir.

Des députés de l’opposition aux militants et dirigeants des associations de langues, en passant par une certaine presse, ceux qui devaient tirer la sonnette d’alarme en amont, ont préféré la langue de bois avant de constater qu’on avait envoyé leurs espoirs dans les abîmes des manipulations politiciennes dont seuls les caciques d’un nationalisme arabe borné en détiennent le secret.

Que s’est-t-il vraiment passé ? Comment a-t-on encore voulu faire avaler aux noirs de Mauritanie une réforme qui, à l’image des précédentes, est encore plus politicienne que pédagogique ? Une réforme qui n’a d’autre ambition qu’un génocide linguistique et culturel doublé d’une domination scientifique et culturelle des arabes sur les autres peuples de Mauritanie.

En un mot, une réforme qui n’a d’autre ambition que la finalisation du processus de domination finale des arabes dans tous les sphères politiques, économiques, sociaux et culturels de la vie nationale. Qui disait que pour dominer un peuple, il suffit de le priver d’éducation ?

Du 16 au 20 novembre 2021, s’est tenu au palais des congrès de Nouakchott des journées de concertations sur le système éducatif mauritanien, ceci à l’initiative officielle du ministre de l’éducation nationale et de la réforme du système éducatif. Ces concertations nationales se sont tenues après une série de concertations régionales qui ont eu lieu deux semaines plus tôt dans les douze wilayas du pays.

Nous noterons tout d’abord que ces journées ont été convoquées au moment où le pouvoir et l’opposition travaillent ensemble pour la tenue d’un dialogue national inclusif, dialogue qui devrait d’ailleurs avoir en ses principaux points de discussions la question du système éducatif.

Pourquoi alors une telle précipitation du ministre de l’éducation ? Alors que, comme il l’a dit aux associations de langues, la question du statut des langues pulaar, wolof et soninké dépend des résultats du dialogue politique entre pouvoir et opposition, dialogue encore en gestation. Par quelles courbettes juridiques arrivera-t-on à légiférer sur une loi d’orientation alors que le statut juridique des langues auquel elle doit s’adosser n’est pas défini ?

De toutes façons, ceux qui voulaient regarder et voir n’ont pas seulement manqué de remarquer et de souligner que les préparatifs de ces concertations ont été organisés dans l’opacité totale au sein du ministère, mais aussi que les organisations politiques et la société civile n’ont été officiellement informées que lorsque tout a été arrêté, aussi bien au niveau des thématiques à discuter qu’au niveau de la représentation des participants.

D’ailleurs, la question des langues d’enseignement, pour ne pas dire celle des langues nationales pulaar, wolof et sooninké, n’a été introduite dans la feuille de route que lorsque la coordination des associations de langues a été reçue par le ministre. Pire, cette coordination n’a reçu l’autorisation d’envoyer trois représentants dans chaque assise régionale qu’après le démarrage des concertations régionales.

Le système éducatif, et son corollaire, la question linguistique, sont des questions centrales et fondamentales de la question nationale en Mauritanie. Les traiter à la légère par des tentatives de manipulation et autres jeux de cache-cache ne nous montre en réalité que le visage des officines nationalistes fondamentalistes arabes tapis dans l’ombre du pouvoir et qui sont les causes des véritables malheurs de notre cohabitation en Mauritanie.

Il n’est un secret de polichinelle pour personne, que si le système éducatif est à l’agonie en Mauritanie, c’est tout simplement à cause de la dimension trop politicienne raciste et assimilationniste qui a toujours guidé les choix des différentes réformes opérées par ce nationalisme arabe borné.

Le rapport des journées nationales de concertations sur le système éducatif mauritanien Une analyse une fois encore trop politique

Aussi bien dans son analyse de la situation que dans son argumentaire pour les futurs choix, le rapport des journées de concertations nationales sur le système éducatif mauritanien n’a pas failli à la règle des précédentes réformes.

Le discours de l’argumentaire et des choix est trop politique pour ne pas dire politicien, là où le scientifique devait être la règle. Il est évidemment difficile de combattre un système trop politisé par de simples analyses pédagogiques, mais si nous voulons un système à la hauteur de nos espérances, il nous faut avant tout faire appel aux sciences qui guident l’éducation de l’enfant.

La sociologie de l’éducation, la psychopédagogie, la science des langues, et la pédagogie générale, devaient être les principaux guides de nos choix et non les oraisons politiques répétées et chantées dans presque tous les paragraphes du rapport.

Si nous sommes d’accord que la trop grande politisation de notre système éducatif a produit un système au rabais, c’est aussi parce que ce système au rabais a d’une part détruit le rapport à l’école, pour ne pas dire le rapport au savoir dans nos esprits et surtout dans ceux de nos enfants et de nos enseignants.

C’est d’autre part aussi, parce qu’il a produit une école à multiples niveaux, pour ne pas dire des écoles pour des classes sociales différentes, voire des groupes ethniques différents : les écoles pour les riches que sont les écoles privées de « première classe » qui ne respectent nullement les programmes et curricula officiels, les écoles dites d’excellence et les lycées militaires qui ne sont que des moyens déguisés de séparation des classes sociales au profit des enfants d’une certaine élite, les écoles étrangères à l’image des lycées français à Nouakchott ou de l’Alliance française qui ne sont fréquentées que par les enfants de la haute bourgeoisie. Notons aussi que les plus nantis envoient leurs enfants étudier à l’étranger au Sénégal, à Paris, à Tunis, etc.

Or, dans ce rapport, la lutte contre ces disparités et la réconciliation des enfants avec l’école et le savoir ont été les véritables parents pauvres. Et pourtant aucun salut dans l’horizon sans ses combats, même si on lit çà et là des vœux pieux de renforcement de l’unité nationale et d’unification des cursus scolaires.

Les langues d’enseignement dans la danse des prépositions :

Enseignement des langues nationales, enseignement en langues nationales, ou enseignement dans les langues nationales ?

Voilà le jeu de dupes auquel se sont livrés les rédacteurs du rapport des journées de concertation afin de berner plus d’un. L’utilisation des prépositions de, en, ou dans a été judicieusement orchestré afin de brouiller les pistes sans qu’on sache véritablement quelles sont les véritables conclusions de ces journées sur le rôle et la place des langues nationales, ou plus graves, quelles sont les intentions du pouvoir par rapport à cette question.

Enseigner « les langues nationales », veut dire tout simplement que ces langues seront une simple matière comme toute autre, à l’image de l’enseignement de l’anglais dans nos écoles.

Alors que, « enseigner en langues ou dans les langues nationales », confère à ces langues un statut de médium d’enseignement de toutes les autres matières scientifiques dont l’acquisition est en réalité la véritable finalité de tout projet éducatif digne de ce nom. Or, voilà ce que réclame le noir mauritanien.

Nos enfants ont besoin d’assimiler ces sciences, et ils ne le feront pleinement que dans les langues qu’ils parlent et comprennent, et non dans une autre langue, fut-elle politiquement nationale comme l’arabe, mais qui restera linguistiquement et culturellement étrangère au petit wolof.

Les contradictions du rapport ou la volonté de noyer le poisson dans l’eau

Dans son paragraphe 1.4 intitulé « Pourquoi la réforme ? », le rapport final n’a pas manqué de souligner que le renforcement de l’arabisation à chaque réforme depuis 1965 a toujours engendré des troubles.

Alors, pourrait-on tenter de dire, pourquoi encore une énième tentative de renforcement de l’arabisation dans le projet de loi du ministère ? Plus loin, le rapport reconnaît explicitement que l’expérimentation de l’enseignement dans les langues nationales pulaar, wolof et sooninke par l’Institut des Langues Nationales a été un succès notoire et que son arrêt au moment où toutes les évaluations internes et externes (évaluations de l’UNESCO) recommandaient sa généralisation a été une erreur.

Et pourtant une erreur que ce projet de loi vise à légitimer en proposant que l’enseignement des langues soit à la carte en fonction du choix libre des parents ou des élèves. Pourquoi ne pas seulement généraliser ce qui a été expérimenté et évalué avec succès selon l’avis de tous les experts internes et externes ?

Dans son chapitre 3 intitulé « Comment asseoir l’école que nous devons à nos futures générations ? », au dernier paragraphe, le rapport souligne « … l’impérieuse nécessité d’accorder une importance capitale à l’enseignement en langues maternelles … ». Il est important de souligner l’expression « en langues maternelles » et non « des langues maternelles ».

Ce qui veut dire une volonté explicite d’introduire les langues maternelles comme vecteurs d’enseignement et de formation, et non comme de simples matières à étudier. Ceci est confirmé un peu plus bas quand le rapport réaffirme la nécessité de « …se fixer comme objectif premier l’enseignement de toutes les langues nationales… » ( même si ici nous noterons l’utilisation de la préposition « de » et non « en » ou « dans ») ainsi que de « …sortir de la bipolarité néfaste et inadmissible entre l’arabe et le français dans un contexte de relégation au second plan de nos autres langues nationales que sont le pulaar, le sooninke et le wolof ». L’égalité des langues nationales arabe, pulaar, wolof et sooninke est aussi réaffirmée « au regard de notre devise nationale : honneur, fraternité et justice ».

Dans le paragraphe intitulé « Effort spécifique pour l’enseignement des langues nationales », même si dans ce titre aussi on parle « des langues » et non plus « en langues », il est souligné que l’objectif est de les « hisser au niveau des autres langues internationales comme véhicules du savoir… C’est lorsqu’elles auront été langues d’enseignement au supérieur, support et outil de recherche, que cet objectif stratégique serait atteint ».

Au grand A du chapitre 3, le premier paragraphe souligne explicitement que « l’enseignement est dispensé à tous les niveaux aux enfants mauritaniens dans les langues nationales : l’arabe, le pulaar, le sooninke et le wolof ». Mais juste en dessous, au point 4, contrairement au premier point, on dit : « Au début de la scolarité, l’enseignement des sciences est assuré en langues nationales ».

Est-ce alors à tous les niveaux ou seulement au début de la scolarité que l’enseignement est dispensé en langues nationales ? En tout cas, le point 5 vient encore de plus en plus brouiller les cartes quand il affirme que « Le français est enseigné dès la deuxième année…. dans la perspective d’être une langue d’enseignement pour certaines matières scientifiques ».

Au chapitre B intitulé « Mesures transitoires », des mesures qui n’ont jamais été discutées dans les journées de concertations et qu’on fait figurer dans le rapport par on ne sait quelle astuce donnent complètement la primauté à la langue arabe comme véhicule des connaissances et ce dès le préscolaire ! Une véritable corrélation entre le rapport final et le projet de loi d’orientation que certains n’ont apparemment pas voulu voir.

Alors que toutes les études scientifiques montrent que l’enfant développe mieux ses capacités cognitives et acquiert plus facilement une seconde langue après avoir eu les connaissances de base dans sa première langue, ici on oblige une fois de plus les enfants non arabes à commencer par l’arabe dès le préscolaire.

Quelle aberration ! Si pour le primaire et le secondaire il est nécessaire d’attendre la mise en place de l’institution qui sera chargée de gérer l’introduction des langues nationales, nous ne pensons pas que cela soit nécessaire pour le préscolaire dans lequel ce qui est surtout important c’est de travailler l’esprit d’éveil, la cognition et la mémorisation. Même les enseignants seraient beaucoup plus à l’aise pour faire ce travail dans les premières langues des enfants.

En plus, alors que le système actuel enseigne les disciplines scientifiques en français, le rapport recommande de le faire en arabe pour la phase transitoire. Une aberration de plus quand on sait que pour une transition il vaut mieux laisser le système tel quel et non introduire des modifications subites qui risquent de compliquer la vie aux enfants, et ceci pour des raisons incompréhensibles et peut-être inavouables. En réalité, une arabisation de fait dans une phase qui ne sera transitoire que de nom.

En conclusion, non, le projet de loi d’orientation est bien conforme à l’esprit de ce rapport tripatouillé et manipulé et malheureusement non dénoncé lorsqu’il le fallait, alors que c’est lui, ce rapport, qui ne reflétait nullement les conclusions des assises. A vouloir trop faire confiance, on finit par se jeter dans la gueule du loup.

Amadou Alpha BA
Coordinateur CVE pour l’EUROPE

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