Certains « s’ambiancent », d’autres « s’endeuillent »/ Par Me Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud
Taleb Khyar Mohamed – Que les puristes de la langue française ne s’offusquent point de l’usage fait dans le titre, des termes « ambiance » et « deuil », qui ne sauraient se conjuguer, à fortiori prendre une forme pronominale, mais cet usage dévoyé du français ne devrait plus choquer puisqu’on le retrouve au sein de ce panthéon de la langue française, ou présenté comme tel, qu’est l’Organisation Internationale de la francophonie, où des termes plus barbares sont devenus d’un usage si courant, que cela n’offusque plus en rien, l’une des quelconques sensibilités de notre ouïe.
Pendant que certains défilaient de manière festive, pendant qu’ils « s’ambiançaient » sur les artères principales de Nouakchott dans des voitures d’un luxe insolent, à coups de klaxon et de vuvuzela, arborant drapeaux et banderoles pour célébrer l’indépendance de la Mauritanie, en ce lundi 28 novembre, d’autres citoyens du même ordre « s’endeuillaient » en pleurant humblement, en toute humilité, en d’autres endroits du territoire aux décors plus spartiates, moins éclairés, moins illuminés, leurs morts pendus ce même jour de l’indépendance.
Triste sort que celui de la Mauritanie ! On s’y est essayé pourtant, à l’Etat- Nation, pendant les premières années de l’indépendance, et le peuple y a cru.
Pendant ce petit bout de temps, ce laps de temps, cette unité infinitésimale dans l’histoire d’une nation, à peine cinq ans, tout le monde s’est convaincu de la mise en place définitive de l’Etat-Nation ; il est vrai que les apparences étaient là ; le libre accès au service public, l’égalité des chances au recrutement, l’école républicaine, les espaces de loisirs et de liberté, et surtout, mais alors surtout, le choix politique apparent de l’interculturalité sur celui de la pluri-culturalité…..En un mot, on peut affirmer qu’à cette époque, il faisait bon vivre en Mauritanie, car la citoyenneté était une valeur nationale, enseignée, vécue.
Ce moment n’allait point survivre au basculement de ce pays vers le monoculturalisme, lorsque les gouvernants en place décidèrent en 1966, d’ériger la langue d’une seule nationalité, l’arabe, comme seule langue d’enseignement, donc comme unique moyen de promotion sociale et économique.
La Mauritanie venait de basculer brutalement, violemment, de manière inattendue, imprévisible, vers un Etat ethnocentrique, au détriment des communautés négro-africaines, lesquelles, sentant leur ghettoïsation culturelle prochaine, allaient exprimer leur mécontentement à travers des émeutes, noyées dans le sang.
Rien ne sera plus comme avant ! Finie l’interculturalité, fermée l’école républicaine, jetée aux oubliettes le service public et l’égalité des chances …. Le quotidien des mauritaniens serait désormais rythmé par les replis identitaires.
Cette ghettoïsation culturelle des négro-africains de Mauritanie allait se poursuivre, et constituer la matière, le souffle, la flamme, la substantifique moelle de courants politiques suprémacistes arabophones qui deviendront des canaux privilégiés de recrutement au sein de l’administration, mais aussi de l’armée, mais aussi de la justice ; les principaux leviers du pouvoir.
Cette superstructure mise en place de manière volontaire, réfléchie, planifiée, soutenue et entretenue à coups de recrutements discriminatoires, de messages haineux, parfois dissimulés, tantôt divulgués haut et fort, toujours canalisés par des partis politiques créés à cet effet, allait inévitablement déboucher sur le génocide de 1988, où des milliers de négro-africains furent assassinés à bout portant, ensevelis dans des fosses communes, les survivants se voyant soumis à toutes sortes d’actes dégradants et humiliants, avant d’être expropriés, puis déportés en masse vers les pays voisins.
Qui, dans ces conditions, oserait parier sur un avenir serein de la Mauritanie ?
Qu’on y songe ! Les morts ne sont pas morts ; Caïn croyait qu’en mourant, il serait libéré de l’œil témoin de l’assassinat de son frère.
Il n’en sera rien ; de la même manière qu’il l’aveuglait de son vivant , y compris en troublant ses sommeils, de cette même manière, cet œil ne s’arrêtera pas de le persécuter, jusque dans son tombeau comme pour lui dire ; je suis témoin de ce que tu as fait à ton frère, j’ai tout vu jusqu’aux moindres détails ; l’embuscade qui t’a permis de le surprendre, le roc que tu as choisi pour lui fracasser le crâne, les efforts entrepris pour l’ensevelir en mimant les gestes du corbeau creusant le sable, puis ensevelissant le creux ; j’ai également vu comment tu as essayé vainement de faire disparaître les traces de sang de ta victime, qui remontaient à la surface malgré les efforts que tu fournissais pour les enfouir ; oui ! J’ai tout vu ; cette terre qui refusait d’absorber le sang de ta victime, et dont des gouttes d’un rouge pourpre rejaillissaient, marquant de manière indélébile la surface de la motte retournée pour les faire disparaître.
Au jugement dernier, le roc avec lequel tu as fracassé le crâne de ton frère viendra témoigner, le sang dégoulinant de sa tête viendra témoigner, le sable dans lequel tu as enseveli son corps sans vie viendra témoigner, le corbeau qui t’a indiqué la manière de faire disparaître son corps viendra témoigner…
Ce seront tous des témoins à charge qui rapporteront chacun, en ce qui le concerne, les circonstances du crime prémédité que tu as commis ; ils en rapporteront les circonstances avec force détails, de manière minutieuse, appuyée ; tes mains, tes bras , tes jambes qui t’ont porté jusqu’aux lieux du crime, seront aussi parmi les témoins à charge qui viendront également t’accabler.
Qu’on ne s’y trompe pas ! Les vociférations funéraires des morts de la vallée, tous ces corps de femmes, d’hommes et d’enfants criblés de balles, ensevelis en masse dans des fosses communes, continueront de hanter la vie de tous les mauritaniens, dirigeants comme dirigés, et la vallée ne se résoudra jamais à voir nuls autres que ses enfants y vivre sereinement.
*Avocat à la Cour.
*Ancien membre du Conseil de l’Ordre.