Editorial : Aziz enfin face à ses juges
Après près de trois ans de longues et laborieuses enquêtes, l’instruction du rocambolesque « dossier de la décennie » a enfin connu son épilogue.
Ainsi, l’ex président Mohamed Ould Abdel Aziz qui fait face à de graves accusations de corruption, blanchiment d’argent et enrichissement illicite entre autres, sera aujourd’hui face à la justice des hommes en attendant celle d’Allah.
Saura-t-il se tirer d’affaire face à ses juges ? Arrivera-t-il à justifier sa prétendue immense fortune et notamment les 100 millions de dollars gelés par l’appareil judiciaire au cours de l’enquête ?
Quelle va être la ligne de défense qui sera adoptée par la batterie d’avocats locaux et étrangers ?
La justice mauritanienne avec tous les griefs qu’on lui reproche souvent saura-t-elle relever le défi de ce procès historique ?
Le tribunal aura-t-il les mains libres, le courage et la latitude de juger l’ex président en se basant sur des faits qui ne souffriront d’aucune contestation possible ?
Quoiqu’il en soit, au lendemain des Etats Généraux de la justice qui viennent de se tenir, ce procès fait figure de test et la crédibilité de l’appareil judiciaire est engagée.
Dans le camp de la défense de l’ex président, les avocats qui sont apparemment conscients de la faiblesse de leur marge de manœuvre ne ménageront aucun effort pour tenter d’exploiter les failles de l’instruction et du système judiciaire.
Si dans la première phase de l’instruction le prévenu avait estimé être victime d’un règlement de comptes et avait choisi de se murer dans le silence invoquant une prétendue immunité en vertu de l’article 93 de la constitution, au cours du procès il va falloir trouver un autre subterfuge, faute de pouvoir avancer des arguments solides pour se défendre.
Mais vu la réaction des avocats de la défense à la veille du procès, on a l’impression qu’ils n’ont pas assez d’arguments à faire valoir.
Ils ont parlé d’enlèvement de leur client alors qu’il ne s’agit en fait que d’une décision de routine prévue par la loi. Ils ont également parlé de torture morale et de détérioration de son état de santé.
Et ils menacent même de boycotter le procès. Mais cela ne devrait aucunement perturber le cours normal des choses. Leur client aura, le cas échéant, droit à une assistance judiciaire et à un avocat commis d’office.
Il convient de rappeler dans cette foulée que le dossier Aziz impliquait plus de 300 personnalités de l’ex régime qui ont toutes tourné leur veste en ralliant le pouvoir actuel, avec armes et bagages et se sont retrouvées disculpées du jour au lendemain, comme par enchantement alors qu’elles étaient toutes comptables de la gestion jugée chaotique du pays par l’ex président.
.Même si ce dossier politico-judiciaire a été biaisé dès le départ, le jugement du principal suspect revêt un fort cachet symbolique.
Au-delà des préjudices subis par le pays du fait d’une gestion chaotique des deniers publics, ce procès va coûter très cher au contribuable-on parle déjà de 300 millions d’ouguiyas rien que pour les frais des avocats de l’État- de ce fait, il est impératif que le droit soit dit et que tout cela ne finisse pas par une mascarade.
Bakari Gueye