Lancement de la campagne électorale : Un scrutin très ouvert
Le tocsin a sonné ce matin pour le lancement de la campagne électorale en perspective du scrutin du 13 Mai prochain.
1.785.035 de mauritaniens dont 52% de femmes iront voter aux élections législatives régionales et municipales. Selon les chiffres rendus publics par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), on compte 1378 listes candidates pour les municipales, 145 listes pour les Conseils régionaux et 559 listes pour les législatives.
Cette élection est relativement bien préparée et les 25 partis qui se sont lancés dans la course ont été associés à toutes les étapes du processus aussi bien par la CENI que par le ministère de l’intérieur.
Et mis à part quelques couacs -dont notamment des tentatives d’immixtion de l’Etat dans le choix de certains candidats au niveau de certains partis de la majorité-les choses semblent plutôt être allées dans le bon sens.
Les nouveaux amendements apportés au système électoral avec la tendance vers le renforcement de la proportionnelle et l’introduction d’une liste spécifique pour les jeunes, avec une place pour les handicapés, tous ces changements ont été bien accueillis par la classe politique.
Et du côté du financement des partis politiques, l’Etat a décidé de mettre la main à la poche et sur instruction du président de la République, 1 milliard d’ouguiyas doit être débloqué séance tenante pour renflouer les caisses désespérément vides de la plupart des partis politiques en course.
A deux jours du lancement de cette campagne, la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA) s’est réunie avec les responsables des partis pour déterminer la répartition des temps d’antenne.
Ainsi, même si on est peut-être encore loin du compte les conditions minimales pour la tenue d’un scrutin plus ou moins transparent sont réunies. La balle est dans le camp des acteurs politiques qui à leur tour doivent jouer leur partition.
Des rapports de force élastiques
Les élections en vue se caractérisent par un degré d’ouverture plutôt encourageant avec une scène politique pacifiée et consensuelle.
Voilà qui explique l’explosion des candidatures issues des différents partis et autres alliances politiques. Avec cette pléthore de candidature, on frise la banalisation.
Partout des candidats sans background et sans envergure aucune se sont déclarés ou ont été imposés selon la vieille règle des rapports de force tribaux, ethniques, raciaux, claniques, familiaux ou régionaux. Sur le papier c’est le parti au pouvoir INSAF qui mène la danse avec une présence quasi-totale au niveau du territoire national. Il est talonné par le parti Sawab impulsé par la présence de Birame Dah Abeid et par le parti islamiste Tawassoul, en perte de vitesse certes mais toujours bien présent sur l’échiquier politique national.
Il faut compter aussi avec le parti UDP qui jouit toujours d’une bonne représentativité sur le plan électoral.
Le parti Ribat qui bénéficie du soutien de l’ex président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz aura peut-être aussi des arguments à faire valoir.
La vieille garde de l’opposition est toujours présente avec notamment les partis RFD, UFP, APP, AJD-MR. A ceux-là s’ajoute la kyrielle de partis satellites, la plupart appartenant à la majorité présidentielle.
Du côté des alliances on note entre autres la coalition « CVE/CVE-VR » sous l’impulsion de l’AJD-MR et des FPC. Il y a le mariage de raison « SAWAB/RAG/IRA », une coalition qui avait fait mouche aux législatives de 2018 et qui monte en puissance.
Autre coalition avec laquelle il va falloir aussi compter c’est celle de « Espoir Mauritanie » formée autour du Front républicain pour l’unité et la démocratie (FRUD).
L’alliance « Etat de justice » formé atour du parti de l’Union pour la construction et le Développement, aura pour sa part son mot à dire. Elle regroupe des élus, des syndicalistes, des leaders de la société civile et des mouvements de jeunesse dont le fameux mouvement Kevana qui a le vent en poupe sur les réseaux sociaux.
Un discours statique
Au cours de la première journée, les états majors de campagne ont comme à l’accoutumée mis le paquet sur le côté formel avec des tribunes de choix, des tentes bien meublés et une forte mobilisation des griots et autres troubadours.
Les fortunes sont diverses mais chacun se fait violence pour apparaître sous le meilleur jour possible.
Quant aux discours, au fond, on éprouve toujours du mal à trouver des candidats qui proposent des projets de société alternatifs. Chacun promet monts et merveilles, sans se soucier de présenter aux électeurs des propositions concrètes pouvant avoir un impact sur leur quotidien et partant sur leur avenir.
La langue de bois est toujours de mise et demeure la chose la mieux partagée par tous les politiciens.
Et pour en venir aux discours, le parti INSAF a lancé sa campagne centrale à partir de son siège à Nouakchott. Cette campagne est placée sous le slogan « Garantir le développement et la stabilité », un slogan qui ressemble à s’y méprendre à celui brandi il y a bientôt 40 ans par un certain Moaiya Ould Sid’Ahmed Taya, ex président de la République dont l’œuvre s’est curieusement volatilisée.
Le président du parti INSAF a déclaré à cette occasion que sa formation politique dispose d’un plan clair pour développer le pays. Ledit plan a-t-il ajouté s’inspire du programme du président de la République. Ould Eyih s’est félicité des différentes réalisations du président Mohamed Ould El Ghazouani depuis son avènement au pouvoir. Un discours qui a le goût du déjà vu, déjà entendu.
Du côté de l’opposition aussi on ne note pas de changements majeurs dans les discours.
Comme d’habitude, on se contente de tirer à boulets rouges sur le régime, sans pour autant dévoiler des programmes bien ficelés.
Ouvrant la campagne de l’APP, Messaoud Ould Boulkheir très affaibli clame avec fougue que son parti est le seul qui vaille et appelle les mauritaniens à voter pour lui.
Le président de l’AJD-MR Sarr Ibrahima s’accroche toujours à son thème favori jugé réducteur et épidermique, à savoir l’exclusion de la communauté négro-africaine. Il a déclaré que le salut du pays réside dans le règlement de la question de la cohabitation entre les communautés noire et arabe.
Pour Hamadi Ould Sid’El Mokhtar, président du parti Tawassoul, qui s’est exprimé à partir du siège du parti au Ksar, « la situation du pays est catastrophique ». Il a dénoncé les tentatives de trucage des élections et le parti pris de l’Etat en faveur du parti INSAF.
Devant le siège de son parti à Nouakchott, Mohamed Ould Mouloud, président de l’UFP a mis en garde contre la déception des espoirs des mauritaniens à l’instar de ce qui s’était passé en 2018.
Le président du parti SAWAB a quant à lui demandé de mettre hors d’état de nuire les prévaricateurs.
Au nom de l’alliance « Etat de justice », l’ex députée de Tawassoul Zeinabou Mint Taki a regretté l’état actuel du pays qui dit-elle, de par ses immenses ressources aurait pu constituer un modèle.
Au niveau de l’Alliance « Espoir Mauritanie », les dirigeants ont appelé à un changement de la situation du pays jugée mauvaise.
Ainsi, les différents concurrents aux sièges en jeu ont chacun vidé sa besace et annoncé la couleur, espérant du coup recueillir la sympathie des électeurs.
Des électeurs plus conscients
Si la carte électorale du pays demeure très mouvante et incertaine du fait du nomadisme électoral, marqué par des transferts souvent massifs d’une circonscription à l’autre, sous l’influence des grands manitous de la politique, les électeurs mauritaniens sont de plus en plus conscients des enjeux électoraux.
Très branchés sur les réseaux sociaux qui ont bouleversé les mentalités, beaucoup d’entre eux n’acceptent plus de se laisser mener en bateau suivant les vieux sentiers de la politique locale.
Même si l’achat des consciences et celui des pièces d’identité a encore de beaux jours devant lui, la tendance de la disparition des votes tribaux, raciaux et autres risque de bouleverser tous les pronostics, notamment dans les grandes agglomérations urbaines.
Cette nouvelle donne risque de bouleverser tous les pronostics.
Enfin, comme l’a souligné le président de la République, ces élections constituent une étape importante du processus démocratique en Mauritanie. Et à l’issue des résultats finaux, qui ont valeur de test, le régime actuel sera bien fixé sur le niveau de sa cote de popularité.
Bakari Gueye