Niger : La mauvaise approche de la Cedeao/Par Mohamed El Hassen Ould El Hadj, ancien président du Sénat
Et de cinq ! Depuis le 26 juillet 2023, le Niger est enregistré sur la liste « infamante », pour une bonne partie de la communauté internationale, des pays où des militaires ont décidé, eux aussi, de goûter à la « sauce pouvoir » en écourtant le mandat du Président « démocratiquement » élu.
Si personne ne peut approuver un coup d’état proscrit par l’ensemble de la communauté internationale, il faut reconnaitre tout de même qu’il y a des choses à dire sur la légitimité du régime déchu et sur les vrais mobiles du « soutien » d’un Occident qui voit souvent les situations en Afrique (démocratie dévoyée et putschs) à l’aune de ses intérêts.
Dans le cas du Niger, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), poussée en avant par la France, et dans une moindre mesure par les USA, file du mauvais coton.
L’activation de sa force en attente estimée à 8000 hommes est une déclaration de guerre dans un contexte trouble qui divise les pays membres en « pour » et « contre » une opération militaire censée rétablir la «démocratie » au Niger. Et c’est là le hic ! Le double regard de l’Occident sur une démocratie qu’il accommode en fonction de ses intérêts.
Avant le Niger, il y a eu le Tchad. La mort subite d’Idriss Déby Itno n’était pas une raison « suffisante », au regard de la vraie démocratie, pour que son fils Mahamat assure sa succession ! L’Onu, l’UA et toutes les organisations sous-régionales ont pourtant laissé faire et, comble du ridicule, le Maître du Tchad qui mène depuis le 20 avril 2021, une transition « démo-gâchique » dans son pays, s’est établi homme de bons offices entre la junte Nigérienne et la Cedeao dont le Tchad n’est pas membre ! Et que dire de ces Républiques bananières où l’on peut qualifier les pouvoirs en place de tout sauf de démocratiques?
Républiques bananières
Le Cameroun où Paul Biya, 90 ans, est à la barre depuis 1986 (41 ans). La République du Congo est aussi entre les mains d’un Denis Sassou-Nguesso, 79 ans, au pouvoir de 1979 à 1992 (13 ans), puis de 1997 à nos jours (25 ans).
Revenu par un putsch, cet ancien colonel a toujours « arrangé » les élections pour se maintenir sans que la puissance tutélaire (la France) trouve à redire ! On peut multiplier les exemples en citant les « coups de force », les accommodements de « Si si », en Égypte, de Teodoro Obiang Nguema, né en 1942, dirigeant de la Guinée équatoriale depuis 1979 (44 ans), du Rwanda où Paul Kagamé peut rester au pouvoir « légalement », grâce à une constitution «accommodée », jusqu’à 2034 ! Certes, concernant le maître de Kigali, le bilan économique élogieux plaide en sa faveur mais la démocratie chère à l’Occident est bien bafouée.
Comble du ridicule, certains de ces chefs d’État, auxquels il faut ajouter d’autres despotes comme Y. Museveni, Ali Bongo, etc. préparent sans vergogne leurs fils pour assurer leur succession ! Ce qui se passe au Niger est en fait la répétition de scenarii vécus ces derniers temps au Burkina Faso (24 janvier 2023), au Mali (18 août 2020 et 24 mai 2021), au Tchad (où Déby fils, général de 37 ans, a succédé à Déby père, maréchal, tué au « combat contre les rebelles », le 20 avril 2021), au Soudan, avec une junte qui refuse le partage du pouvoir avec les civils, et dont les chefs (les généraux Borhan et Hemeity) s’entre-tuent depuis quelques mois, en Guinée où le colonel Doumbouya a déposé, le 5 septembre 2021, le président Alpha Condé qui, même avec des velléités dictatoriales de plus en plus évidentes, avait quand même un mandat à finir.
Naufrage collectif
Le retour en force des coups d’État en Afrique est, en réalité, un naufrage collectif pour tout le continent. C’est un aveu d’échec pour l’Union africaine (UA) et d’impuissance pour la communauté internationale (ONU).
Certes, dans ces pays – et partout ailleurs – les militaires ont pour mission de défendre l’intégrité de leurs pays contre toutes les menaces (attaque d’un autre pays, extrémistes de l’État islamique, d’Al Qaeda et de Boko Haram, etc.) mais ils s’autorisent, aussi, de se dresser contre les dictatures ou les gouvernements faillis.
L’armée, seul corps constitué disposant d’une légitimité approuvée par le Peuple en dehors des contingences du temps et de l’espace, constitue souvent un dernier recours, même si certains idéalistes pensent que le manque de fermeté face aux coups d’État a ouvert la boîte de Pandore avec ses effets boomerang. Ses effets pervers !
Ils estiment que parce qu’on a laissé faire au Mali, d’autres militaires roublards ont pensé que «tout est permis» ! Les populations, victimes des tiraillements entre les militaires et les politiques ne savent plus à quel saint se vouer. Elles ne sont même plus en droit d’attendre la délivrance par une communauté internationale qui se bat, depuis trois ans, contre une terrible pandémie du Covid-19.
Au lieu de faire face à ce Mal du siècle en mobilisant les ressources nécessaires pour en atténuer l’impact sur des populations déjà fragilisées par la pauvreté, les nouveaux gouvernants échafaudent des plans pour faire durer des «transitions» qui, par nature, devraient être très courtes !
Les questions pressantes du développement de l’Afrique sont remises à plus tard par ces «transitions» qui sont du temps perdu. Elles le sont plus quand les juntes essayent de ruser en jouant aux prolongations. Alors qu’au Mali et au Soudan, les militaires gagnent du temps et s’inscrivent dans la durée, au Tchad, en Guinée et maintenant au Burkina Faso (et demain au Niger), on ne donne pas d’engagements fermes sur la durée des transitions qui sont alors de véritables sauts vers l’inconnu.
Ces coups d’Etat qui bénéficient d’une impunité totale sont la preuve a contrario de ce que disait René Dumont dans son livre «L’Afrique (…) est mal partie». Sans une tradition démocratique bien ancrée, il n’y a point de développement. Chose étonnante toutefois : Au Niger comme dans tout le Sahel les coups d’État sont toujours bien accueillis par les sociétés civiles et les populations.
Et quand il y a des sanctions, comme la communauté internationale et la Cedeao s’y livre en ce moment, ce sont ces pauvres populations qui les subissent de plein fouet. Au-delà du blocus économique imposé par la CEDEAO, plusieurs pays et organisations internationales ont remis en question leur aide financière.
La France, suivie par l’Allemagne, compte parmi les premiers États à avoir annoncé la suspension de son aide au développement. C’est une riposte qui est sans doute plus liée à ce risque de perdre l’exploitation de l’uranium au Niger qu’à un soi-disant désir de « restaurer » une démocratie de façade. La Banque mondiale, dont l’aide s’élevait à 1,5 milliard de dollars en 2022, a également décrété la suspension des versements « pour toutes ses opérations, et ce, jusqu’à nouvel ordre ». Comprenez: l’ordre de Washington et de ses alliées européens !
Selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le montant total des aides bilatérales accordées au Niger en 2021, s’élevait à 1,8 milliard de dollars, soit l’un des plus gros montants alloués à un pays d’Afrique de l’Ouest.
Le Niger, où la moitié des habitants vit avec environ 2 dollars par jour, affiche l’un des pires indices de développement humain au monde et souvent confronté à des crises alimentaires récurrentes.
Entre sanctions économiques et financières et menaces d’une intervention militaire, l’avenir de ce pays d’Afrique de l’Ouest semble incertain.
L’intervention d’Etats tiers n’est pas LA solution
D’aucuns pensent, sérieusement, à un droit d’intervention militaire, au nom de l’Onu, de l’UA ou d’une organisation sous-régionale comme la Cedeao, pour protéger la volonté des peuples exprimée par les urnes, quand il y a un minimum de transparence et de respect du nombre de mandats constitutionnellement établis. Ces partisans de la manière forte oublient souvent que les coups d’état ne sont pas pires que les dictatures sur lesquelles l’Occident ferme les yeux.
C’est un peu le choix entre la peste et le choléra ! Certes, les interventions conduites dans certains pays (Irak, Libye, Syrie) avaient un soupçon de guerre froide, mais c’est loin d’être le cas dans d’autres où les considérations géostratégiques priment sur les enjeux démocratiques.
L’application aux pays africains en crise de démocratie d’une nouvelle «ingénierie politique» internationale ne pourrait pas se faire sans épuiser toutes les voies de recours entreprises au plan sous-régional (CEDEAO) et régional (UA).
On se trompe donc lourdement en pensant que si une intervention militaire, menée au nom de l’une de ces deux institutions, réussit à restaurer la démocratie, sans conséquences fâcheuses pour les populations, elle pourrait alors servir de dissuasion à d’autres tentations (tentatives) de putschs.
Le principe de souveraineté des Etats – et des peuples – sera ainsi bafoué et l’on ne ferait alors que renforcer l’idée que le Conseil de sécurité, avec le veto octroyé à cinq pays (USA, Russie, Chine, Royaume Unie, France) est le garant de l’ordre mondial, du « désordre mondial », devrais-je dire plutôt !