Les pays du Sahel se trouvent face au dilemme suivant : comment combattre le terrorisme, sans la coopération de l’épicentre de ce fléau, le Mali ? Le régime de Transition a poussé la force française Barkhane et le groupement européen de forces spéciales, Takuba, à quitter son territoire. À la place, Bamako a fait le choix de recourir à la société russe de paramilitaires, Wagner. La junte au pouvoir a procédé au retrait du Mali du G5 Sahel. Les Forces armées maliennes (FAMA) ont déserté les postes avancés de la zone stratégique des trois frontières (Burkina, Mali et Niger). Le pays semble, désormais, s’emmurer dans ses limites territoriales, sourd aux appels à la coopération de ces voisins embarrassés.
Les textes fondateurs du G5 Sahel ont-ils péché par négligence des règles de gouvernance politique ? On le dirait, a posteriori, c’est-à-dire à l’usage. En instaurant le principe de la présidence tournante de ce regroupement sous régional anti-terroriste, les chefs d’État avaient omis de préciser que cette rotation était soumise à certaines conditions : être un président élu démocratiquement, et donc ne pas être sous sanctions. Le double coup d’État du colonel Assimi Goïta, opéré le 18 août 2020 puis le 24 mai 2021, mettait déjà le Mali au ban de la communauté africaine et internationale. Quand, en décembre 2021, la junte a exprimé son ardent désir de rester au pouvoir cinq ans, la CEDEAO a, vivement, réagi, le 09 janvier 2022, en infligeant de lourdes sanctions économiques et diplomatiques au pays, assorties d’un embargo financier et commercial ainsi que de la fermeture de ses frontières. La Transition malienne plongeait dans le marigot des États parias. Dès lors, impensable, pour le Tchad, détenteur du « poste », de céder cette présidence du G5 Sahel à un putschiste, récidiviste de surcroit. C’est cette gifle que Bamako a éprouvé du mal à avaler. La goutte d’eau politico-diplomatique qui a débordé le vase des égos des colonels, d’où leur décision de se retirer du G5 et de la Force conjointe, annoncée le dimanche 15 mai 2022. La junte évoque aussi « les manœuvres d’un État extrarégional visant désespérément à isoler le Mali ». On devine la France. Dans une note confidentielle en date du 14 juin, le chef d’état-major général des armées a informé le commandant de la Force conjointe du G5 Sahel que l’engagement des personnels maliens en son sein prenait fin le 30 juin 2022, ceux-ci devant reprendre fonction dans leurs armées et services, dès le 1er juillet 2022.
Retrait du G5 et de la Force conjointe
Dès le 18 mai 2022, la Mauritanie qualifiait ce retrait d’injustifié, estimant que cette décision affecterait la situation sécuritaire de toute la région. Fort diplomatiquement, Mauritanie rappelle ceci : « Ce n’est un secret pour personne que, lorsque le groupe des pays du Sahel a été créé, les problématiques majeures qui se dressaient devant ce groupe se trouvaient dans l’État du Mali ». Le gouvernement mauritanien a, d’autre part, souligné qu’il mettra tout en œuvre pour que le G5 Sahel surmonte les obstacles qui se dressent devant lui, en coopération avec d’autres partenaires. Il a précisé, enfin, que la Mauritanie reste attachée au G5 et à ses dimensions militaires et de développement. À son tour, le président nigérien, Mohamed Bazoum, a estimé, le 18 mai 2022, dans les colonnes des journaux français, La Croix et L’Obs, que le G5 est mort, après ce retrait du Mali, avant d’ajouter que « l’isolement de Bamako en Afrique de l’ouest est une mauvaise chose pour toute la sous-région ». « (…) Bamako est dans une fuite en avant qui l’isole en Afrique et nous prive d’une stratégie concertée et coordonnée pour lutter contre le terrorisme ». De son côté, puissant allié militaire du Mali, depuis le déclenchement de l’opération française Serval en janvier 2013, et toujours président en exercice du G5 Sahel, le chef de l’état du Tchad, le général Mahamat Déby, dans un communiqué, le 20 mai 2022, a exhorté la junte malienne à reconsidérer sa décision.
Sur le plan stratégique, le Mali marque, également, sa divergence d’avec les autres membres du G5 Sahel et de leurs partenaires occidentaux. Alors que ceux-ci ont décidé de se concentrer sur la zone des trois frontières, appelée aussi Liptako-Gourma, au nord-est, où sévit surtout l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), Bamako estime que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ag Ghaly, influent au centre et au nord du Mali, est plus dangereux pour sa sécurité.
Pas de coopération avec les pays voisins
Bien avant ce retrait, une délégation d’officiers burkinabè s’est rendue le vendredi 22 avril 2022 à Bamako, dans l’objectif, d’abord, de rappeler au voisin et partenaire que le Burkina Faso et le Mali vivent les mêmes problèmes de sécurité et ont le même ennemi. À ce titre, ils doivent rester solidaires pour relever les défis communs. Ensuite, la délégation a réaffirmé la volonté du Burkina Faso de continuer la coopération militaire et sécuritaire avec le Mali, et de la renforcer, notamment par l’intensification des opérations sur le terrain. L’ambition est d’anticiper les problèmes sécuritaires que pourrait engendrer un repli de groupes armés terroristes en territoire burkinabè, en raison de la montée en puissance supposée des FAMA. Les deux pays partagent près de 1200 km de frontière. Cette démarche a été infructueuse. En visite à l’ouest du Niger, dans la zone des trois frontières, dans la région de Téra, le 09 juin 2022, le président nigérien, Mohamed Bazoum, a lancé un appel à la mutualisation des actions des trois pays contre les terroristes. Les armées burkinabè et maliennes sont interpellées car, dit-il : « Dans cette zone des trois frontières, quand vous passez la frontière du Niger, vous n’avez affaire qu’à des espaces occupés par les terroristes. Et ça rend difficile le travail que doivent faire nos forces ». Le Mali est resté tant sourd à cette invite que, le 23 août 2022, le Niger le Burkina Faso, conjointement, lancent un second appel au Mali à « revenir assumer ses responsabilités et jouer son rôle » dans la lutte contre le terrorisme dans le cadre d’une coopération sous régionale. « Nous avons passé (…) en revue la situation sous régionale et nous avons pensé que le Mali (…) est aujourd’hui le grand absent de la coopération dans le domaine de la défense », a déclaré le ministre nigérien de la Défense, à Ouagadougou, ce jour-là, en présence de son homologue burkinabè. « Il faut qu’on travaille pour que le Mali puisse revenir et assumer ses responsabilités et jouer son rôle ». Mais comment le faire ? C’est toute la question…
Une insurrection islamiste
Comme la junte malienne est, ainsi, incline à n’écouter que son propre discours intérieur, seule la réalité pourrait l’amener à s’ouvrir, à nouveau, à ses voisins immédiats. Des signes montrent que la Transition joue sa survie politique, tandis que les colonels jouent aussi leur survie biologique. Qu’on en juge. Vendredi 22 juillet, le GSIM lance une offensive complexe sur la ville garnison de Kati, dans la proche banlieue de Bamako. Assimi Goïta et ses camarades sont censés y résider. Quelques jours plus tard, les jihadistes affiliés à Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), sous la houlette du Touareg Iyad Ag Ghali, annoncent, dans une vidéo, une stratégie pour encercler Bamako. Le mercredi 27 juillet, les FAMA doivent faire face à plusieurs attaques au centre (Mopti), au sud (Sokolo) et à la frontière avec la Mauritanie, à l’ouest. Le 03 août, à Boni, région du centre, des jihadistes du Front libération du Macina (FLM) d’Amadou Koufa détournent 19 camions, les vident de leur contenu, puis les brûlent. Le 07 août, des combattants de l’EIGS bombardent puis prennent la garnison de Tessit, non loin de la Zone des trois frontières, tuant 42 soldats ainsi que 10 civils, et emportent un important lot d’équipements militaires. Ces derniers mois, on assiste à multiplication des accords locaux entre les populations et les jihadistes, sans l’implication des autorités maliennes, dans l’objectif de réduire la violence des groupes parce que ceux-ci occupent, systématiquement, le terrain.
Au regard de la progression des forces jihadistes en direction du sud, une note, très fouillée, du Centre d’études stratégiques de l’Afrique, basé à Washington, aux États-Unis, datée du 30 aout 2022, montre que « l’insurrection islamiste (est) aux portes de Bamako » (africacenter.or/fr/spotlight/linsurrection-islamiste-aux-portes-de-bamako).
Le dilemme mentionné plus haut – comment combattre le terrorisme, hors du Mali, son épicentre, reste posé.
André Marie Pouya
Journaliste centre4s.org